J'ai besoin de ces voix qui s'éreintent à se taire; comme s'échoue le souffle ultime de la vague J'ai besoin de ces voix qui s'offrent jusqu'à la fêlure; comme si le lendemain allait définitivement les éteindre J'ai besoin de ces voix dont le fil défie le rasoir; quoiqu'elles sachent qu'il le coupera tôt ou tard. J'ai besoin de ces voix que n’effraie pas l'erreur qui les fait balbutier; qui désobéissent à l'harmonie. J'ai besoin de ces voix de rez-de-chaussée, car celles de étages parfois percent le plafond à en réjouir la pluie. J'ai besoin de ces voix non affermies qui endossent au plus franc leur inconfort; leur précaire solide. J'ai besoin de ces voix qui honorent le simple, n'en espérant ni prime ni ristourne. J'ai besoin de ces voix soutenant l'ordinaire pour échapper aux règles de l'extra. J'ai besoin de ces voix sans habit ni parure, qui ne se mêlent pas à celles trop vêtues. J'ai besoin de ces voix que ne parviennent à apprivoiser ni l'instrument ni la note - mais qui ont néanmoins leur musique. J'ai besoin de ces voix se voulant passerelles, mais avec lesquelles on coupe souvent les ponts. J'ai besoin de ces voix qui ne s'abaissent pas à prouver; et dont les éclats vibrent sans rien démontrer. Voix que ne dompte aucun fouet de tutelle. J'ai besoin de ces voix qui avouent carrément leurs trous et demandent poliment à celles qui en ont moins de les combler. J'ai besoin de ces voix dont certains disent qu'elles n'ont pas de couleur - surtout quand elles sont blanches. J'ai besoin de ces voix qui n'ont jamais appris à se poser - d'où qu'elles retiennent leur vol - et dont le cri rentré aspire à une étendue d'ombres. J'ai besoin de ces voix ayant le sommeil angoissé et dont l'enrouement au lever est déjà chargé de ce qu'elles endureront. J'ai besoin de ces voix qui se tiennent assises sur la langue de celle ou de celui qui vivent debout. J'ai besoin de ces voix dont le timbre ne colle pas au pavillon des hauteurs - d'où qu'on les oblitère. Nombreuses elles sont, ces voix; mais l'oreille ne s'y prête plus guère lorsqu'elles se libèrent. Leurs inquiétudes, bien sûr, peinent à se marier à d'autres qu'aiguise la meule des heures qui ne sait pas d'usure. Constance des heurts qui modifient les voix, précipitent la venue de la muance. Ma voix comme celles au-dessus, en quelque lieu du temps, ne sait plus où parler. S'adresser; oui,s'adresser ! Y compris à un âge où l'on gouverne son fluide oral, s'adresser vous semble une montagne à gravir; tant vers vous déferlent les éléments que l'on presse et propose en substituts du langage. J'ai besoin de ces voix tendues comme un bonjour, à quoi la mienne répond par une bonne poignée. J'ai besoin de ces voix qui bafouillent, qui marmonnent, qui hésitent, qui fourchent l'intransitif; qui trébuchent, balbutient, se donnent au murmure et à l'involontaire spontané de la faute. J'en ai plus qu'assez de cet insécable discours enrubanné, des performances hurlées, chantées, formatées et code-barrées en quoi toise toujours un orgueil à trouer le ciel. Quand même l'écoute se penche rarement sur elles, je veux entendre savourer les voix humaines. |
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Emportez-moi dans une caravelle
Dans une vieille et douce caravelle, Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume, Et perdez-moi au loin, au loin. Dans l'attelage d'un autre âge. Dans le velours trompeur de la neige. Dans l'haleine de quelques chiens réunis. Dans la troupe exténuée de feuilles mortes. Emportez-moi sans me briser, dans les baisers, Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent, Sur les tapis des paumes et leur sourire, Dans les corridors des os longs, et des articulations. Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi. Je suis l'un des rouages les plus délicats de l'amour terrestre
Et l'amour terrestre cache les autres amours A la façon des signes qui me cachent l'esprit Un coup de couteau perdu siffle à l'oreille du promeneur J'ai défait le ciel comme un lit merveilleux
J'ai vu de mes propres yeux
Le vent s'égarer Dans le rire des épis J'ai entendu de mes propres oreilles La terre chanter jaune Dans la sueur du midi J'ai caressé de mes propres mains Les doigts tendrement levés En bras de chemise J'ai senti dans mon propre sang Tanguer jusqu'aux yeux Le tapis roulant du blé mur Les arbres se reflètent dans mes yeux. Une fine buée de larmes les recouvre. La vapeur grise de mon souffle monte lentement vers mes cheveux.C'est le calme immobile du lac, le soir. Le cauchemar quotidien s'est couché à mes pieds, en chien de fusil. Je n'attends de nouvelles de personne. Sans hier, sans lendemain, je me laisse envahir par mon corps somnolent. Et subitement, des coups, frappés dans mon crâne, rompent mon apesanteur. MÉMOIRE ! Je me recroqueville autour de mon squelette, mon suprême abri.
Quand vous dites
Qu’il faut marcher avec ceux qui construisent le printemps Pour les aider à ne pas être seuls Et pour ne pas être seul soi-même Dans sa tour de pierre Dévoré de lierre Je vous donne raison Et quand vous dites Qu’on n’a de raison d’être Que pour les autres êtres Vous avez raison vous avez raison Et quand vous dites Qu’il faut chanter le monde pour le transformer Et pour l’expliquer et pour le sauver Et pour vivre non seulement dans sa bulle de savon Mais dans la haine de l’injustice Et pour un but incarné comme un champ de blé Vous avez raison vous avez raison Mais je sais Qu’une étreinte fraternelle sans patrie ni parti Est plus forte que toutes les doctrines des docteurs Mais je sais Que pour libérer l’homme des haltères de misère Il ne suffit pas de briser les idoles Pour en mettre d’autres à leur place publique Mais qu’il faut piocher et piocher sans fin jusqu’au fond de l’abcès Et boire ce calice jusqu’à la lie On ne libère pas l’homme de son rein flottant Par une gaine élastique aux arêtes barbelées On ne libère pas l’homme de son corset de fer En le plongeant dans un vivier de baleines On ne libère pas l’homme de ses maudits États En le condamnant à vie par un modèle d’État La vérité n’est pas un marteau que l’on serre dans sa main Fût-ce une main de géant plein de bonne volonté Mais la vérité c’est ce par quoi nous sommes façonnés Mais vérité c’est par quoi nous sommes éclairés Quand par les nuits sans suite les mots jaillissent de nos lèvres Pour apaiser les hommes suspendus à leur vide Tenga sonoridad de bronce mi canto;
grito de piedra virgen al golpe del cincel, y recorra mis venas un frío de espanto con un vértigo de cuádrigas en tropel. Para decir su nombre no hay verbo ni armonía, pues ni el Apocalipsis traducirá su gloria; más allá de la exaltación de la poesía está el clarín de su victoria. Tormenta que cruzó sobre el abismo y que rompió el granito del valladar potente con el ígneo zig-zag del heroísmo en el prodigio del Continente. Numen en combustión, fecunda hoguera de cinco soles que enmarcó un destino y que siglo tras siglo reverbera en el más alto cumbredal andino. Yo, arrebatado, en espiral subía para quemar mis ansias en su lumbre, y vi rotas mis alas, y vi que no podía ni vislumbrar siquiera la poderosa cumbre. Y desciendo a los vórtices humanos en mi desolación y mi tristeza exprimiendo el asombro entre las manos ante su majestad y su grandeza. ¿Mi tierra?
Mi tierra eres tú. ¿Mi gente? Mi gente eres tú. El destierro y la muerte para mi están adonde no estés tú. ¿Y mi vida? Dime, mi vida, ¿qué es, si no eres tú? Hommes de l'avenir. Tout ce que je dis dans ce livre sera-t-il un jour
Comme ces légendes que l'on écoute sans y croire ? C'était pourtant l'époque où j'ai vécu, La gloire était pour quelques-uns seulement : et ils parlaient de surproduction et de chômage et de statistiques, Qu'ils faisaient fabriquer à leur gré en se moquant des chiffres Comme des hommes. Et ces sentences de mort et de faim Ces diagrammes, ces graphiques, ces index numbers Ils les faisaient établir par des pauvres qui signaient ainsi leur propre arrêt de misère. Comment auraient-ils pu, ceux de mon temps, penser à vous hommes de l'avenir ? Dénués de tout : agenouillés devant des gardiens implacables Comment auraient-ils pu penser encore ? Et pourtant s'ils avaient regardé dans les champs Ils auraient vu qu'il n'y a jamais trop de fleurs, si belles dans leur simplicité. Et les abeilles ? S'il il y a trop de miel en sont-elles malheureuses ? Et les rossignols : s'ils chantent trop en résulte-t-il du chômage ? Vous ne saurez rien de tout cela, hommes de l'avenir Vous pourrez voir, entendre, penser en toute liberté. C'est ainsi que le soir je m'éloignais des habitants de la ville, Qu'auraient-ils pu me faire, leur orgueil, leurs disputes ? "Cet honneur, cette place sont à moi " -disaient-ils - je sais. Mais les champs Un espoir, comme une herbe fraîche, après la pluie, reprenait vie. La forêt n'était pas loin. On pouvait l'apercevoir Comme une mer bienheureuse, aux arbres pareils à des navires. Entourés de l'écume des nuages. Ils se tenaient là immobiles, ces arbres, et cependant Ils voyageaient à travers les saisons et les orages innombrables. Une vie âpre étaient en eux ; délivrés des sens Qui ne sont qu'une conséquence de la marche : vue, odorat, ouïe, Non les arbres avaient mieux que cela : ils étaient mêlés à l'argile Et au ciel : comme un sens plus vaste comprenant tous les sens. C'est là près de ces arbres que je voyais venir Vers moi une autre forêt : celle des foules heureuses de l'avenir, Quand ce temps sombre aura disparu. Et tous les hommes Et leurs pensées, leurs joies, seront comme des vases communicants. Je suis là, mais ma pensée est ailleurs. J’attends
Devant cette porte cadenassée, mais c’est un autre qui se tient là à ma place. Loin, très loin, les chalands amarrés, les navires prêts à partir, Et cette armoire quelque part où le linge a une odeur de coings et d’automne. Il fait bon, oui, il fait bon rester ainsi aux fenêtres Et voir le jour qui monte comme une plante neuve de la terre. Il y a les oiseaux qui essaient le vol comme une forme plus pure. Et cette course joyeuse de l’homme qui s’avance vers son destin. Ô !, Ne me demandez pas : A quoi bon tout cela ? Il y a encore des terrains vastes, il y a encore des maisons à bâtir, Et des hommes qui n’ont jamais mangé à leur faim Et la vie et le soleil qu’on soupçonne parmi eux. Ce sont des paroles simples à la portée de tout le monde, Pas même la peine de les chercher dans un dictionnaire : Le droit au repos ; le droit au travail. Se promener Dans un beau parc lumineux. Ouvrir une terrasse au grand air, un poème. Faut-il briser le cœur de l’homme comme la surface D’une rivière glacée pour trouver une onde claire ? Je dis cela ou autre chose. J’attends Devant cette porte, mais c’est un autre qui attend à ma place. Mes mains, êtes-vous là? Et vous, mes genoux? Et vous mes yeux? Quel est ce pays que vous voyez? Et ces visages que les mots isolent comme des grilles ? "Non, Monsieur, les visites ne sont admises que le dimanche de deux à quatre heures." -"Ma femme a été opérée ce matin. Je veux la voir." Serrer les dents amie, épouse chère ! Non je n'ai pas le droit De dire cette douleur à moi, à nous tous deux. Il y a d'autres douleurs plus grandes ; ces prisons où meurent Des hommes jeunes. Mais je sens les doigts du chirurgien qui fouillent tes intestins. Dimanche ! que veut dire cela: Dimanche ! Et quel jour Sommes-nous au juste ? Et ces routes qui passent par ma tête Comme des herbes emmêlées sous le vent, où mènent-elles ? Et la pensée? Qu'en faites-vous? Elle est là à la porte de l'hôpital. Elle se moque de vos dimanches. Je te vois, merveilleuse, résignée entre ces lits semblables. Et les malades aussi : les plus purs, les plus pauvres. "Courage", me disais-tu. Et la rue était là à la sortie Comme une meule pour broyer dans la foule mon image. Est_il un monde meilleur quelque part ? Et un peuple jeune Qui s'avance en chantant, sans armes, avec des instruments de travail, vers un autre peuple ? "Non, pas de guerre, disent-ils. Nous sommes venus Pour construire ensemble des ponts et des ateliers clairs et des maisons de repos." A tout cela je pense aussi. Et je suis partout en même temps Comme une nouvelle heureuse. Et toute chose m'est chère Car ce n'est pas moi qui marche et qui pense dans ces rues, C'est toi aussi. Et puis des milliers et des miliers d'hommes comme nous. Nul parmi nous ne sait comment s'est accompli ce miracle,
Il y a un instant, nous étions des mendiants, des esclaves, Et nous voici soudain libres. Il y a un instant Nous nous traînions avec peine parmi des roues et des chaînes Et maintenant nous sommes des princes au visage rayonnant Ô ! Mon âme, tu te dresses fière devant moi, Et chacun voit son âme sous les traits d'un être noble, Qui s'approche et lui dit : "Voilà qui tu seras désormais" Et nous nous regardons avec un étonnement joyeux Car maintenant nous sommes des princes au visage rayonnant. Avez-vous vu comment crie et pleure l'enfant Lorsqu'il vient au monde? Nous, nous ne pleurons pas, Nous rions, nous sommes émerveillés en entrant dans ce monde Où la lumière nous couvre de somptueux habits Car maintenant nous sommes des princes au visage rayonnant. Une contrée heureuse s'étend de tous les côtés Nous sommes grands, affables, et les arbres comme des chevaux Se fient à nous et secouent leurs crinières de feuillages, Et les rivières luttent en jouant comme de jeunes athlètes Car maintenant nous sommes des princes au visage rayonnant. Ô ! Le sourd se réfugie dans la vision. Et l'aveugle Écoute intensément ce qu'il ne peut voir. Mais nous Nous étions plus sourds, plus aveugles encore. Car nous, Nous n'avions rien pressenti de ce monde Où maintenant nous sommes des princes au visage rayonnant. On a tort de mépriser les autres : on apprend un jour Qu'ils sont des princes. On a tort de se mépriser soi-même Un jour on apprend que l'on est prince et que tout Terre, feu, air et eau concourent à faire nos joies Car nous sommes des princes au visage rayonnant. "Quand vous aurez fini de me coiffer, j'aurai fini de vous haïr."
L'enfant veut qu'on le peigne sur le pas de la porte. "Ne tirez pas ainsi sur mes cheveux. C'est déjà assez qu'il faille qu'on me touche. Quand vous m'aurez coiffé, je vous aurai haïe." Cependant la sagesse du jour prend forme d'un bel arbre et l'arbre balancé qui perd une pincée d'oiseaux aux lagunes du ciel écaille un vert si beau qu'il n'y a de plus vert que la punaise d'eau. "Ne tirez pas si loin sur mes cheveux..." Dans ma poitrine il y a trois hommes-
un qui ne voudrait pas mourir maintenant mais plus tard plus loin plus avant un autre aventurier un fou qui voudrait qui voudrait bien qui voudrait tout de suite qui le désire en liberté si je l'écoute il n'attend que ça depuis toujours et il trouve que ça traîne que ça tarde il me conjure d'accélérer d'abréger d'asphyxier une bonne fois qu'on passe à autre chose enfin la fin s'exclamera-t-il en spécialiste meurtri de n'avoir pu vérifier ses talents plus tôt son heure viendra que veut-il d'autre à quelle vitesse croit-il se vouer le plus souvent je lui coupe la parole- dans ma poitrine un troisième veille à ne rien croire je ne sais au juste à quoi il sert son silence est inaltérable Je ne parlerai pas de ça. Je n'en lâcherai pas un mot, pas une bribe, pas une simple voyelle. Aucune ligne à ce sujet. Rien. Il me paraît nullement hors de portée de m'exclure de cette information capitale aux allures de trompe-l’œil et d'encyclopédie. Vous en êtes privée par la même occasion. J'en suis désolé. Je ne cherche pas d'excuses. Qu'elle m'absorbe ou non, votre indulgence est l'énergie du sans-pareil, un sentiment illimité à la mesure de nos mutismes. Depuis mille ans qu'on se croise, on sait tout de même à quoi s'en tenir, non ? C'est pour ça que les gens se perdent, c'est pour ça qu'ils se trouvent. Je sais que vous admettrez que je me taise, qu'aucune rigueur ne s'élèvera de vous vers moi. Nous aimons le silence. Une histoire de plus ou de moins ne fera jamais la loi. Je vous le redis: nulle précision ne viendra sous ma plume ni des poignards étincelants de l'horizon. Sous la contrainte même, qui m'en empêcherait de toute façon, je ne dévoilerai pas ce qui m'occupe ici, qui déjà me torture presque en dépit de la beauté, de la flagrante beauté. Il s'en faudrait de peu que l'univers ne prenne la parole pour tout dire à ma place. Du linge multicolore se balance aux persiennes. Pas un souvenir qui ne soit un indice. Mais en voilà trop halte-là stop la langue. Vous n'aurez pas l'albâtre et l'africaine.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant : Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle. Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, Desja sous le labeur à demy sommeillant, Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant, Benissant vostre nom de louange immortelle. Je seray sous la terre et fantaume sans os : Par les ombres myrteux je prendray mon repos : Vous serez au fouyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et vostre fier desdain. Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain : Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie. Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel Se ferme lentement comme une grande alcôve, Et l'homme impatient se change en bête fauve. Ô soir, aimable soir, désiré par celui Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd'hui Nous avons travaillé ! - C'est le soir qui soulage Les esprits que dévore une douleur sauvage, Le savant obstiné dont le front s'alourdit, Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit. Cependant des démons malsains dans l'atmosphère S'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire, Et cognent en volant les volets et l'auvent. A travers les lueurs que tourmente le vent La Prostitution s'allume dans les rues ; Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ; Partout elle se fraye un occulte chemin, Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main ; Elle remue au sein de la cité de fange Comme un ver qui dérobe à l'homme ce qu'il mange. On entend çà et là les cuisines siffler, Les théâtres glapir, les orchestres ronfler ; Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices, S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices, Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci, Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi, Et forcer doucement les portes et les caisses Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses. Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment, Et ferme ton oreille à ce rugissement. C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent ! La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent Leur destinée et vont vers le gouffre commun ; L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - Plus d'un Ne viendra plus chercher la soupe parfumée, Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée. Encore la plupart n'ont-ils jamais connu La douceur du foyer et n'ont jamais vécu ! J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d'une façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs, Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l'unique soin était d'approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir. Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ; Le rire joue en ton visage Comme un vent frais dans un ciel clair. Le passant chagrin que tu frôles Est ébloui par la santé Qui jaillit comme une clarté De tes bras et de tes épaules. Les retentissantes couleurs Dont tu parsèmes tes toilettes Jettent dans l'esprit des poètes L'image d'un ballet de fleurs. Ces robes folles sont l'emblème De ton esprit bariolé ; Folle dont je suis affolé, Je te hais autant que je t'aime ! Quelquefois dans un beau jardin Où je traînais mon atonie, J'ai senti, comme une ironie, Le soleil déchirer mon sein ; Et le printemps et la verdure Ont tant humilié mon coeur, Que j'ai puni sur une fleur L'insolence de la Nature. Ainsi je voudrais, une nuit, Quand l'heure des voluptés sonne, Vers les trésors de ta personne, Comme un lâche, ramper sans bruit, Pour châtier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonné, Et faire à ton flanc étonné Une blessure large et creuse, Et, vertigineuse douceur ! A travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles, T'infuser mon venin, ma soeur ! I
Dans le royaume des morts, les pensées humaines construisent de singuliers édifices. Je ne voudrais point y habiter pour tous les corps du monde ! Dieu créa le labeur afin d’en modérer l’afflux. Les hommes courbés sur une tâche, et les mains pleines d’éclis, n’ont plus le loisir de rêver jusqu’aux ténèbres. Leurs désirs restent en chantier comme des quartiers de marbre rouge. Toute leur attention se concentre sur la machine prête à les broyer sur un beau rythme, ou sur le papier dont la blancheur est un désert à ensemencer. Ils ne pensent plus, et dans la pureté de leur domaine, les âmes de morts se font par jeu de grands saluts comme des arbres. Mais arrive le dimanche, et elles sentent avec horreur monter contre elles des murailles honteuses. II La silhouette énorme de l’église nous étreignait de toute la force de ses arcades, et les rues menaient à une place rouge comme un cœur. Petite Annaïck, le reflet des lampes et du vent lacérait de signes mortels vos joues pures. Votre main mourut la dernière dans la brume, et la vie continua à se taire comme un chantier sous la pluie. III Ce soir je n’entends que des paroles sans courbe et des pas. J’écrirais bien, mais les mots engendrent les réalités qu’ils enclosent, et qu’on ne peut prévoir. Je risque à peine un trait que mon doigt sur la page étire, et peint en brume. D’ailleurs je veille à ce qu’il peut en surgir ! N’est-il pas affreux de savoir autour de nous un monde prêt à monter d’une parole ou d’une ombre ? Tout ce que je peux faire au crépuscule est de fermer la porte du placard et de vérifier souvent la forme des meubles. Malgré moi dans la nuit une flore torturée se lève ; et si je ne parle que d’elle, c’est afin de ne pas accélérer d’autres naissances... Le Visage (Portrait de Joë Bousquet par Hans Bellmer), Romancero du profil perdu, Louis Émié5/27/2020 Prise au piège d'un visage
Une étoile de granit Inonde ce paysage Et veut y faire son nid. Nébuleuse d'un désastre Dont elle n'est qu'un lambeau, Elle cesse d'être un astre Pour éclairer ce tombeau. Visage sur la muraille Tout de pierre illuminé! C'est sur un champ de bataille Qu'avec lui cet autre est né... Il s'arrache de la Terre Et devient le survivant Du vertige et du mystère Dans un désert de grand vent. Les pas de sa multitude De lui seul vont s'approcher: Ce profil de solitude Change en homme ce rocher... - J'habite (dit ce visage) Dans une autre profondeur, A la pointe d'un langage Dont ma pénombre est la sœur. "Je mesure ma présence Au-delà de mon regard: Un abîme est sa défense Sur ces chemins de hasard. "Si j'étais, à hauteur d'homme, L'enfant de votre clarté, Je me verrais mourir comme Si je m'étais déserté. "Mais une forme plus pure Se dénoue entre mes bras: Fleur de feu de ma blessure, Je ne la nommerai pas... "Quand j'émerge d'un silence Par le mien ressuscité, Cette voix, ma ressemblance, Dédouble ma vérité. "Je suis fait d'une parole Qui déroule autour de moi La spirale d'un symbole Auquel ma nuit fait la loi. "Ce masque d'or, cet échange, Ce visage mis à nu, Est-ce toi, ma forme d'ange, Qui m'as enfin reconnu ? "Cet orage que j'allume Me dit qu'il fait toujours noir Et que rien ne me consume Quand je brûle sans me voir. "Suis-je celui que je hante Sur la piste de l'éclair, Ce double de mon attente, Ce dédale de ma chair ? "Dans le chant qui me traverse Je n'existe pas encor Mais mon souffle ne disperse Que les ombres du décor. "De toute cette agonie, De ce coeur sur mon amour, Une obscure mélodie Prolonge la fin du jour. "Pour veiller jusqu'à l'aurore, Je rassemble autour de moi Ce visage que j'adore Dans celui qu'il est pour toi..." Paysage en Terre Jaune. Réellement tout entier fait de terre, et de jaune, mais enrichi de nuances, jaune-rose dans le matin, jaune-saumon dans la lumière occidentale, blême vers midi, pourpre violette dans le soir, et noir plus que noir dans la nuit, - car n'y pénètre plus la lumière diffuse. Les plans, les découpures, et l'architecture falote, fantastique, est plus surprenante que les couleurs. La terre jaune qui recouvre plaine ou montagne est taillée en brèches et failles, et ses constructions en équilibre croulant ne sont que lames, crêtes, pics, murs naturels, créneaux inattendus, romanesques imitations par le jeu des pluies des ruines romantiques...Et ce chaos, enclos au fond des vallées, plus souvent abordé d'en haut par une route toujours paradoxale, mangée sans cesse par les éboulis...Une route que le piétinement séculaire a fait souvent entrer profondément dans la terre, et qui étend son coup de sabre horizontal à travers un pan de montagne; étroite à l'empan de l'homme, recreusée de petites cavernes où les chars à reculons s'abritent pour laisser passer l'autre...Un imprévu irascible et pas sérieux dans les formes dramatiques d'une falaise que l'ongle entame. Ce serait puissamment beau et étouffant si ce n'était point là de la terre bruissant dans ses continuels décrépits...Comme l'architecte le roc, et le puisatier la nappe souterraine, on cherche sans cesse le soubassement véritable de ces formes folles et grêles, l'assiette de cet ébouriffant carton-pâte. Et, nerveux de tant de dépenses de formes peu solides, on ne trouve de répit et de calme qu'en montant le plus haut possible, en s'évadant des régions basses et chaotiques, vers les hauts plateaux paradoxaux où la plaine calmée règne et s'étire sous le ciel. L'orgie est en bas, ici au rebours de toutes les autres montagnes. Il n'y a point de pics convulsés dans les hauts, et l'image benoîte de la riante et paisible vallée abreuvée est un non-sens.. L'habitant de ceci doit tenir les crevasses basses pour des lieux hantés; et les hauteurs ne sont que quiétudes. Je n'imaginais rien de semblable à cela.
It was many and many a year ago,
In a kingdom by the sea, That a maiden there lived whom you may know By the name of ANNABEL LEE; And this maiden she lived with no other thought Than to love and be loved by me. I was a child and she was a child, In this kingdom by the sea; But we loved with a love that was more than love- I and my Annabel Lee; With a love that the winged seraphs of heaven Coveted her and me. And this was the reason that, long ago, In this kingdom by the sea, A wind blew out of a cloud, chilling My beautiful Annabel Lee; So that her highborn kinsman came And bore her away from me, To shut her up in a sepulchre In this kingdom by the sea. The angels, not half so happy in heaven, Went envying her and me- Yes!- that was the reason (as all men know, In this kingdom by the sea) That the wind came out of the cloud by night, Chilling and killing my Annabel Lee. But our love it was stronger by far than the love Of those who were older than we- Of many far wiser than we- And neither the angels in heaven above, Nor the demons down under the sea, Can ever dissever my soul from the soul Of the beautiful Annabel Lee. For the moon never beams without bringing me dreams Of the beautiful Annabel Lee; And the stars never rise but I feel the bright eyes Of the beautiful Annabel Lee; And so, all the night-tide, I lie down by the side Of my darling- my darling- my life and my bride, In the sepulchre there by the sea, In her tomb by the sounding sea. Sommes-nous vivants
Sommes-nous faits de fer et sang Sommes- nous fait d’eau et vents Sommes-nous clones du néant où est le feu de nos membres Mes doigts de nicotine bougent encore Ma rage intacte brise les serrures Une longue maladie dévore mon corps Mon âme est un moine en robe de bure Sommes-nous vivants. J’entends le doux rire de l’ami Cioran rue de l’Odéon crépuscule de nombre La chute dans le temps et la tonique écriture. Je ne sais depuis quand j'habite ce palais. Je peux bien dire depuis toujours puisqu'il m'est impossible de penser à un avant. Peut-être est-ce pour cela que l'idée de vivre ici me produit chaque fois ce délicieux étouffement de confiance rieuse. J'entends parler certains d'autres lieux où ils ont été auparavant, d'autres régions d'où ils seraient originaires. Je ne les crois absolument pas.
Souvent je parcours ce domaine dont l'ordre de toute évidence est préparé à dessein, et, étendant à l'infini mon royaume, sans jamais aucun conflit avec un propriétaire que j'imagine absent, et qui sans doute possède d'une autre façon et me laisse faire. Des cascades de lumière, de larges frondaisons comme de solides nuages d'émeraudes, des surfaces de velours et de tournesol, comme l'échine d'un fabuleux animal au pelage changeant à l'infini, des lacs entiers de frisson et de noire fraîcheur, des tourbillons de gouttes de lumière se déploient sans fin et en mouvement perpétuel autour de moi. Si j'avance, si je tourne, si je pars en diagonale, la successive variation de perspectives forme une mélodie continue qu'en toute clarté je me représente et que par instants choisis je parviens à entendre. Parfois, dans le quasi-dégoût de la plénitude, je joue à introduire de grands changements dans la disposition de ces merveilles. Je peux durant toute une journée exister sans aucun de mes semblables et j'explore des régions entières comme témoin absolu pour une éternité que je ne partagerai jamais avec personne. En d'autres occasions, je supprime végétation, eau, nuages, constructions ombriennes, et je laisse un soleil d'écorché m'entourer d'une infinitude flamboyante, où ma petitesse lutte glorieusement. Mais je ne néglige pas non plus la création de galeries, d'enceintes, de labyrinthes compliqués permettant de jouir de la sécurité des trajets indiqués et des endroits précis, maison invisible sous la protection de laquelle je reviens souvent pour me chercher dans ses miroirs. Ainsi se passe ma journée. La nuit venue, d'ordinaire je m'endors enflammé d'une légère fièvre, avec laquelle j'illumine ensuite les pièces sombres de l'autre palais qui est le double de celui-ci. |
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