J'ai besoin de ces voix qui s'éreintent à se taire; comme s'échoue le souffle ultime de la vague J'ai besoin de ces voix qui s'offrent jusqu'à la fêlure; comme si le lendemain allait définitivement les éteindre J'ai besoin de ces voix dont le fil défie le rasoir; quoiqu'elles sachent qu'il le coupera tôt ou tard. J'ai besoin de ces voix que n’effraie pas l'erreur qui les fait balbutier; qui désobéissent à l'harmonie. J'ai besoin de ces voix de rez-de-chaussée, car celles de étages parfois percent le plafond à en réjouir la pluie. J'ai besoin de ces voix non affermies qui endossent au plus franc leur inconfort; leur précaire solide. J'ai besoin de ces voix qui honorent le simple, n'en espérant ni prime ni ristourne. J'ai besoin de ces voix soutenant l'ordinaire pour échapper aux règles de l'extra. J'ai besoin de ces voix sans habit ni parure, qui ne se mêlent pas à celles trop vêtues. J'ai besoin de ces voix que ne parviennent à apprivoiser ni l'instrument ni la note - mais qui ont néanmoins leur musique. J'ai besoin de ces voix se voulant passerelles, mais avec lesquelles on coupe souvent les ponts. J'ai besoin de ces voix qui ne s'abaissent pas à prouver; et dont les éclats vibrent sans rien démontrer. Voix que ne dompte aucun fouet de tutelle. J'ai besoin de ces voix qui avouent carrément leurs trous et demandent poliment à celles qui en ont moins de les combler. J'ai besoin de ces voix dont certains disent qu'elles n'ont pas de couleur - surtout quand elles sont blanches. J'ai besoin de ces voix qui n'ont jamais appris à se poser - d'où qu'elles retiennent leur vol - et dont le cri rentré aspire à une étendue d'ombres. J'ai besoin de ces voix ayant le sommeil angoissé et dont l'enrouement au lever est déjà chargé de ce qu'elles endureront. J'ai besoin de ces voix qui se tiennent assises sur la langue de celle ou de celui qui vivent debout. J'ai besoin de ces voix dont le timbre ne colle pas au pavillon des hauteurs - d'où qu'on les oblitère. Nombreuses elles sont, ces voix; mais l'oreille ne s'y prête plus guère lorsqu'elles se libèrent. Leurs inquiétudes, bien sûr, peinent à se marier à d'autres qu'aiguise la meule des heures qui ne sait pas d'usure. Constance des heurts qui modifient les voix, précipitent la venue de la muance. Ma voix comme celles au-dessus, en quelque lieu du temps, ne sait plus où parler. S'adresser; oui,s'adresser ! Y compris à un âge où l'on gouverne son fluide oral, s'adresser vous semble une montagne à gravir; tant vers vous déferlent les éléments que l'on presse et propose en substituts du langage. J'ai besoin de ces voix tendues comme un bonjour, à quoi la mienne répond par une bonne poignée. J'ai besoin de ces voix qui bafouillent, qui marmonnent, qui hésitent, qui fourchent l'intransitif; qui trébuchent, balbutient, se donnent au murmure et à l'involontaire spontané de la faute. J'en ai plus qu'assez de cet insécable discours enrubanné, des performances hurlées, chantées, formatées et code-barrées en quoi toise toujours un orgueil à trouer le ciel. Quand même l'écoute se penche rarement sur elles, je veux entendre savourer les voix humaines. |