Devant cette porte cadenassée, mais c’est un autre qui se tient là à ma place.
Loin, très loin, les chalands amarrés, les navires prêts à partir,
Et cette armoire quelque part où le linge a une odeur de coings et d’automne.
Il fait bon, oui, il fait bon rester ainsi aux fenêtres
Et voir le jour qui monte comme une plante neuve de la terre.
Il y a les oiseaux qui essaient le vol comme une forme plus pure.
Et cette course joyeuse de l’homme qui s’avance vers son destin.
Ô !, Ne me demandez pas : A quoi bon tout cela ?
Il y a encore des terrains vastes, il y a encore des maisons à bâtir,
Et des hommes qui n’ont jamais mangé à leur faim
Et la vie et le soleil qu’on soupçonne parmi eux.
Ce sont des paroles simples à la portée de tout le monde,
Pas même la peine de les chercher dans un dictionnaire :
Le droit au repos ; le droit au travail. Se promener
Dans un beau parc lumineux. Ouvrir une terrasse au grand air, un poème.
Faut-il briser le cœur de l’homme comme la surface
D’une rivière glacée pour trouver une onde claire ?
Je dis cela ou autre chose. J’attends
Devant cette porte, mais c’est un autre qui attend à ma place.
Mes mains, êtes-vous là? Et vous, mes genoux? Et vous mes yeux?
Quel est ce pays que vous voyez? Et ces visages que les mots isolent comme des grilles ?
"Non, Monsieur, les visites ne sont admises que le dimanche de deux à quatre heures."
-"Ma femme a été opérée ce matin. Je veux la voir."
Serrer les dents amie, épouse chère ! Non je n'ai pas le droit
De dire cette douleur à moi, à nous tous deux.
Il y a d'autres douleurs plus grandes ; ces prisons où meurent
Des hommes jeunes. Mais je sens les doigts du chirurgien qui fouillent tes intestins.
Dimanche ! que veut dire cela: Dimanche ! Et quel jour
Sommes-nous au juste ? Et ces routes qui passent par ma tête
Comme des herbes emmêlées sous le vent, où mènent-elles ?
Et la pensée? Qu'en faites-vous? Elle est là à la porte de l'hôpital.
Elle se moque de vos dimanches.
Je te vois, merveilleuse, résignée entre ces lits semblables.
Et les malades aussi : les plus purs, les plus pauvres.
"Courage", me disais-tu. Et la rue était là à la sortie
Comme une meule pour broyer dans la foule mon image.
Est_il un monde meilleur quelque part ? Et un peuple jeune
Qui s'avance en chantant, sans armes, avec des instruments de travail, vers un autre peuple ?
"Non, pas de guerre, disent-ils. Nous sommes venus
Pour construire ensemble des ponts et des ateliers clairs et des maisons de repos."
A tout cela je pense aussi. Et je suis partout en même temps
Comme une nouvelle heureuse. Et toute chose m'est chère
Car ce n'est pas moi qui marche et qui pense dans ces rues,
C'est toi aussi. Et puis des milliers et des miliers d'hommes comme nous.