LUCRÈCE Que fais-tu là, Tityre, amant de l’ombre à l’aise sous ce hêtre, à perdre tes regards dans l’or de l’air tissu de feuilles ? TITYRE Je vis. J’attends. Ma flûte est prête entre mes doigts, et je me rends pareil à cette heure admirable. Je veux être instrument de la faveur générale des choses. J’abandonne à la terre tout le poids de mon corps : mes yeux vivent là-haut, dans la masse palpitante de la lumière. Vois, comme l’ARBRE semble au-dessus de nous jouir de la divine ardeur dont il m’abrite : son être en plein désir, qui est certainement d’essence féminine, me demande de lui chanter son nom et de donner figure musicale à la brise qui le pénètre et le tourmente doucement. J’attends mon âme. Attendre est d’un grand prix, Lucrèce. Je sentirai venir l’acte pur de mes lèvres et tout ce que j’ignore encore de moi-même épris du Hêtre va frémir. Ô Lucrèce, est-ce point un miracle, qu’un pâtre, un homme oubliant un troupeau, puisse verser aux cieux la forme fugitive et comme l’idée nue de l’Arbre et de l’instant ? |