que tu transportes dans ton esprit, et l'histoire entière des hommes.
Ce pêcheur, dans un poème chinois, toute une nuit sous la pluie, derrière les montagnes de brume,
pêche le rien et médite le vide du Tao. L'Empire dont il
fut un haut dignitaire,
est à feu et à sang. Son exil volontaire le protège et le
transforme.
Un petit garçon, sur les bords d'un lac du nord, imite
entre ses paumes les hululements très doux
des hiboux, qui lui répondent encore et encore, sur
l'autre rive,
entre deux silences de torrents. Vous les connaissez bien,
collines, îles de Winander !
Une immense révolution, pour le meilleur et pour le
pire, se prépare, qui va changer le monde.
Tu respires. Deux peuples de frères noirs, d'une même
religion, se massacrent à la hache,
dans les églises ("ils ne savent pas ce qu'ils font"). Et
une jeune femme est fouettée en public
par des barbus, parce que sa longue robe un peu trop
courte laisse voir ses chevilles nues.
Tu respires, pendant qu'un centurion, sur le mur d'Hadrien, rêve à deux hommes,
qui marcheront, un jour, sur la Lune. Au réveil il ne s'en
souvient plus.
Un peu partout, dans les forêts et les rizières, des petits
garçons sautent sur les mines,
pendant que d'autres sautent à la marelle, ou inventent
sur leurs écrans des images virtuelles,
et que les savants essaient de calculer le diamètre des
Trous Noirs. La Masse totale de la Matière n'est
jamais exacte. On a beau recommencer tous les calculs,
il en manque plus de la moitié.
Héloïse, dans sa chambrette, à l'ombre de Notre-Dame,
gémit de bonheur
entre les bras sévères et doux de son amant. Plus tard,
sainte abbesse, elle murmure à Dieu, en priant,
qu'elle ne peut rien renier de cet amour. Le soir que tu
réclames descend les marches du ciel,
en robe surannée, les bras chargés de paix ou de soucis.
Il dévoile à chacun son heure.
Tu respires, et Homère levant ses yeux éteints, se souvient, lui aussi,
qu'autrefois il pouvait voir les étoiles, qu'il contemple
maintenant dans son coeur.
Tu les portes tous en toi, bourreaux ou victimes, dans le
même temps, ici,
et s'ils veulent, tu souffres en personne avec eux, leur
pardonnes, et les bénis.