Dans le royaume des morts, les pensées humaines construisent de singuliers édifices. Je ne voudrais point y habiter pour tous les corps du monde ! Dieu créa le labeur afin d’en modérer l’afflux. Les hommes courbés sur une tâche, et les mains pleines d’éclis, n’ont plus le loisir de rêver jusqu’aux ténèbres. Leurs désirs restent en chantier comme des quartiers de marbre rouge. Toute leur attention se concentre sur la machine prête à les broyer sur un beau rythme, ou sur le papier dont la blancheur est un désert à ensemencer. Ils ne pensent plus, et dans la pureté de leur domaine, les âmes de morts se font par jeu de grands saluts comme des arbres. Mais arrive le dimanche, et elles sentent avec horreur monter contre elles des murailles honteuses.
II
La silhouette énorme de l’église nous étreignait de toute la force de ses arcades, et les rues menaient à une place rouge comme un cœur. Petite Annaïck, le reflet des lampes et du vent lacérait de signes mortels vos joues pures. Votre main mourut la dernière dans la brume, et la vie continua à se taire comme un chantier sous la pluie.
III
Ce soir je n’entends que des paroles sans courbe et des pas. J’écrirais bien, mais les mots engendrent les réalités qu’ils enclosent, et qu’on ne peut prévoir. Je risque à peine un trait que mon doigt sur la page étire, et peint en brume. D’ailleurs je veille à ce qu’il peut en surgir ! N’est-il pas affreux de savoir autour de nous un monde prêt à monter d’une parole ou d’une ombre ? Tout ce que je peux faire au crépuscule est de fermer la porte du placard et de vérifier souvent la forme des meubles. Malgré moi dans la nuit une flore torturée se lève ; et si je ne parle que d’elle, c’est afin de ne pas accélérer d’autres naissances...