Les hommes eux-mêmes étaient secrètement tentés de s'arrêter; leur regard et leur volonté pataugeaient et s'enlisaient dans les lourdes lueurs et, lorsqu'ils se traînaient muets vers leur travail, le destin se collait à leurs pieds en lentes mottes d'argile. Tous les matins portant, dans l'aube absente, ils quittaient leurs demeures décolorées; flottants et ternes, ils se confondaient bientôt avec l'innombrable grisaille; tout avait disparu; leurs talus les plus fidèles ne les précédaient plus. Au-dessus d'eux le ciel absorbait leurs outils et, parfois, autour de leur front, il descendait et se serrait, casquette usée par les pluies. Tout avait l'air d'être à la fin; sans doute quelqu'un des leurs mourait-il aujourd'hui ? Qu'importait ?Il fallait marcher et leurs pas, l'un après l'autre, continuaient à tomber dans cette mort, mécaniquement, régulièrement, tic tac d'horloge au milieu d'une demeure où le temps n'existe plus pour personne.
Par milliers ils travaillaient à cette heure, agitant les mêmes jambes et les mêmes mains, coupant l'air également incolore avec les mêmes fourches et les mêmes haches. Aujourd'hui des milliers de vies hésitaient et doutaient, mais pour tous ces hommes aux grandes épaules courbées leur drame se fixait là seul où ils posaient le pied; au niveau du sol hostile, ils laissaient mourir entre eux, de village en village, la force de leur fraternité. Et nul ne songeait que triompherait le printemps dans les branches; nul ne se souvenait du beau jardin d'autrefois; un fruit y mûrissait pour chaque soif; pour chaque âme y grandissait un amour; aucun œil n'avait vu la terre agoniser.