Comme ces légendes que l'on écoute sans y croire ?
C'était pourtant l'époque où j'ai vécu,
La gloire était pour quelques-uns seulement : et ils parlaient de
surproduction et de chômage et de statistiques,
Qu'ils faisaient fabriquer à leur gré en se moquant des chiffres
Comme des hommes. Et ces sentences de mort et de faim
Ces diagrammes, ces graphiques, ces index numbers
Ils les faisaient établir par des pauvres qui signaient ainsi leur
propre arrêt de misère.
Comment auraient-ils pu, ceux de mon temps, penser à vous
hommes de l'avenir ?
Dénués de tout : agenouillés devant des gardiens implacables
Comment auraient-ils pu penser encore ? Et pourtant s'ils avaient
regardé dans les champs
Ils auraient vu qu'il n'y a jamais trop de fleurs, si belles dans leur
simplicité.
Et les abeilles ? S'il il y a trop de miel en sont-elles malheureuses ?
Et les rossignols : s'ils chantent trop en résulte-t-il du chômage ?
Vous ne saurez rien de tout cela, hommes de l'avenir
Vous pourrez voir, entendre, penser en toute liberté.
C'est ainsi que le soir je m'éloignais des habitants de la ville,
Qu'auraient-ils pu me faire, leur orgueil, leurs disputes ?
"Cet honneur, cette place sont à moi " -disaient-ils - je sais.
Mais les champs
Un espoir, comme une herbe fraîche, après la pluie, reprenait vie.
La forêt n'était pas loin. On pouvait l'apercevoir
Comme une mer bienheureuse, aux arbres pareils à des navires.
Entourés de l'écume des nuages. Ils se tenaient là immobiles, ces
arbres, et cependant
Ils voyageaient à travers les saisons et les orages innombrables.
Une vie âpre étaient en eux ; délivrés des sens
Qui ne sont qu'une conséquence de la marche : vue, odorat, ouïe,
Non les arbres avaient mieux que cela : ils étaient mêlés à
l'argile
Et au ciel : comme un sens plus vaste comprenant tous les sens.
C'est là près de ces arbres que je voyais venir
Vers moi une autre forêt : celle des foules heureuses de l'avenir,
Quand ce temps sombre aura disparu. Et tous les hommes
Et leurs pensées, leurs joies, seront comme des vases
communicants.