Souvent je parcours ce domaine dont l'ordre de toute évidence est préparé à dessein, et, étendant à l'infini mon royaume, sans jamais aucun conflit avec un propriétaire que j'imagine absent, et qui sans doute possède d'une autre façon et me laisse faire. Des cascades de lumière, de larges frondaisons comme de solides nuages d'émeraudes, des surfaces de velours et de tournesol, comme l'échine d'un fabuleux animal au pelage changeant à l'infini, des lacs entiers de frisson et de noire fraîcheur, des tourbillons de gouttes de lumière se déploient sans fin et en mouvement perpétuel autour de moi. Si j'avance, si je tourne, si je pars en diagonale, la successive variation de perspectives forme une mélodie continue qu'en toute clarté je me représente et que par instants choisis je parviens à entendre.
Parfois, dans le quasi-dégoût de la plénitude, je joue à introduire de grands changements dans la disposition de ces merveilles. Je peux durant toute une journée exister sans aucun de mes semblables et j'explore des régions entières comme témoin absolu pour une éternité que je ne partagerai jamais avec personne. En d'autres occasions, je supprime végétation, eau, nuages, constructions ombriennes, et je laisse un soleil d'écorché m'entourer d'une infinitude flamboyante, où ma petitesse lutte glorieusement. Mais je ne néglige pas non plus la création de galeries, d'enceintes, de labyrinthes compliqués permettant de jouir de la sécurité des trajets indiqués et des endroits précis, maison invisible sous la protection de laquelle je reviens souvent pour me chercher dans ses miroirs.
Ainsi se passe ma journée. La nuit venue, d'ordinaire je m'endors enflammé d'une légère fièvre, avec laquelle j'illumine ensuite les pièces sombres de l'autre palais qui est le double de celui-ci.