Je n’en veux retenir qu’une seule, la plus commune, mais qui les réunit toutes
Parmi les alertées, les craintives, les soleilleuses, la celle-là
Qui, dans le temps où elle appartenait encore à la branche, timidement bruissait entre les mots que j’écris là,
Une feuille, pour que l’été sauvé ait son visage !
Le peintre est plus heureux que le poète, qui sur sa toile assemble les couleurs et les paysages Rouges de sang, verts comme sève et bleus du ciel de ce tableau.
L’espace est plein à ras bord, l’eau déliée déborde quand on y trempe la pointe du pinceau.
Moi, je n’ai couleur que de mots et leurs lumières
Sont noires comme le feu captif à l’intérieur des pierres.
Et le langage grince et crie entre l’inerte et le vivant et me fait mal
Quand je me fraie un passage pour rejoindre ma place entre le particulier, le général.
Il me suffit pourtant d’un mot, d’un seul, pour l’ouverture.
Comme la source
Qui s’étire entre les joncs avant de prendre course,
S’éveille dans le plaisir et le murmure dans l'immense octave du plain-chant,
La feuille libre devient langue commune dans la bouche même du vent.
Ainsi tous deux élus sans choix — et peu m’importe que je sois laurier, et toi acacia à odeur de femme — ou bien feuille de chêne,
Nous ne savons ensemble que les premiers mots de l’été, mais les autres sont venus, faisant la chaîne
Où tout se tient, et le monde et les cieux se sont ouverts
Et il en faut peu pour que la pression aérienne de cette feuille ne déborde sur nous l’univers.
Et l’arbre vient qui la porta, et tous les arbres avec leurs lichens sur l’épaule, et le buisson où le soleil se déchire,
La haute mer des prés qui lance ses vagues d’herbes comme des messagers pour s’assurer de son empire,
Et les chemins où nous nous sommes rencontrés — chemins à deux que l’on suit un moment, qu’on abandonne en leur montrant du doigt le rendez-vous
Sur la colline qui s’embrase avec la haute maison solaire du mois d’Août.
À l'image d'une journée prise entre deux pages d'un herbier,
elle dort, maintenant, la feuille, un long sommeil l’a prise
Et si bougent les souvenirs, c’est qu'entre les mots court un ruisseau dont les syllabes sur les pierres se brisent,
Se plaignent et se mélancolisent en reliant hors du temps l’aube et l’espoir.
Une feuille tombe de la rive dans le poème, et c’est la même. Alors, des fonds où ils dormaient, se détachent les poissons noirs de la mémoire et affleurent la surface pour venir voir.
Elle est verte et légère à la vitre du poème qu’elle ride. À son envers,
Que je monte aussi vers sa lumière et que vivre me soit soudain différent quand je regarde à son travers.
Que tout me soit à nouveau sauvé, me soient données toutes les chances et que s’élance
Un autre été éternel avec ses terres à l’affût. Plus large et plus puissant
Pour avoir crevé la membrane verte de l’espace, malgré la charge accrue des ans où ploie mon chant,
Je vais grandir et devenir moi-même été, prairie, colline.
Nos pas perdus se rejoindront dans nos poitrines,
Ces pas de loup, ces bruits de feuilles accourant en tous sens
Qui reprendront chaleur et renaissance dans le sang.
L’amour inquiet a besoin de patience
Et dans le monde du poème où j'étends les bras pour assigner à chaque chose sa place, son harmonie et ses distances,
Peut-être que j'apaiserai et confondrai dans un même secret
La feuille perdue qui rêvait d’avoir un visage et mon visage qui avait perdu sa forêt.