Paysage en Terre Jaune. Réellement tout entier fait de terre, et de jaune, mais enrichi de nuances, jaune-rose dans le matin, jaune-saumon dans la lumière occidentale, blême vers midi, pourpre violette dans le soir, et noir plus que noir dans la nuit, - car n'y pénètre plus la lumière diffuse. Les plans, les découpures, et l'architecture falote, fantastique, est plus surprenante que les couleurs. La terre jaune qui recouvre plaine ou montagne est taillée en brèches et failles, et ses constructions en équilibre croulant ne sont que lames, crêtes, pics, murs naturels, créneaux inattendus, romanesques imitations par le jeu des pluies des ruines romantiques...Et ce chaos, enclos au fond des vallées, plus souvent abordé d'en haut par une route toujours paradoxale, mangée sans cesse par les éboulis...Une route que le piétinement séculaire a fait souvent entrer profondément dans la terre, et qui étend son coup de sabre horizontal à travers un pan de montagne; étroite à l'empan de l'homme, recreusée de petites cavernes où les chars à reculons s'abritent pour laisser passer l'autre...Un imprévu irascible et pas sérieux dans les formes dramatiques d'une falaise que l'ongle entame. Ce serait puissamment beau et étouffant si ce n'était point là de la terre bruissant dans ses continuels décrépits...Comme l'architecte le roc, et le puisatier la nappe souterraine, on cherche sans cesse le soubassement véritable de ces formes folles et grêles, l'assiette de cet ébouriffant carton-pâte. Et, nerveux de tant de dépenses de formes peu solides, on ne trouve de répit et de calme qu'en montant le plus haut possible, en s'évadant des régions basses et chaotiques, vers les hauts plateaux paradoxaux où la plaine calmée règne et s'étire sous le ciel. L'orgie est en bas, ici au rebours de toutes les autres montagnes. Il n'y a point de pics convulsés dans les hauts, et l'image benoîte de la riante et paisible vallée abreuvée est un non-sens.. L'habitant de ceci doit tenir les crevasses basses pour des lieux hantés; et les hauteurs ne sont que quiétudes. Je n'imaginais rien de semblable à cela.
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It was many and many a year ago,
In a kingdom by the sea, That a maiden there lived whom you may know By the name of ANNABEL LEE; And this maiden she lived with no other thought Than to love and be loved by me. I was a child and she was a child, In this kingdom by the sea; But we loved with a love that was more than love- I and my Annabel Lee; With a love that the winged seraphs of heaven Coveted her and me. And this was the reason that, long ago, In this kingdom by the sea, A wind blew out of a cloud, chilling My beautiful Annabel Lee; So that her highborn kinsman came And bore her away from me, To shut her up in a sepulchre In this kingdom by the sea. The angels, not half so happy in heaven, Went envying her and me- Yes!- that was the reason (as all men know, In this kingdom by the sea) That the wind came out of the cloud by night, Chilling and killing my Annabel Lee. But our love it was stronger by far than the love Of those who were older than we- Of many far wiser than we- And neither the angels in heaven above, Nor the demons down under the sea, Can ever dissever my soul from the soul Of the beautiful Annabel Lee. For the moon never beams without bringing me dreams Of the beautiful Annabel Lee; And the stars never rise but I feel the bright eyes Of the beautiful Annabel Lee; And so, all the night-tide, I lie down by the side Of my darling- my darling- my life and my bride, In the sepulchre there by the sea, In her tomb by the sounding sea. Sommes-nous vivants
Sommes-nous faits de fer et sang Sommes- nous fait d’eau et vents Sommes-nous clones du néant où est le feu de nos membres Mes doigts de nicotine bougent encore Ma rage intacte brise les serrures Une longue maladie dévore mon corps Mon âme est un moine en robe de bure Sommes-nous vivants. J’entends le doux rire de l’ami Cioran rue de l’Odéon crépuscule de nombre La chute dans le temps et la tonique écriture. Je ne sais depuis quand j'habite ce palais. Je peux bien dire depuis toujours puisqu'il m'est impossible de penser à un avant. Peut-être est-ce pour cela que l'idée de vivre ici me produit chaque fois ce délicieux étouffement de confiance rieuse. J'entends parler certains d'autres lieux où ils ont été auparavant, d'autres régions d'où ils seraient originaires. Je ne les crois absolument pas.
Souvent je parcours ce domaine dont l'ordre de toute évidence est préparé à dessein, et, étendant à l'infini mon royaume, sans jamais aucun conflit avec un propriétaire que j'imagine absent, et qui sans doute possède d'une autre façon et me laisse faire. Des cascades de lumière, de larges frondaisons comme de solides nuages d'émeraudes, des surfaces de velours et de tournesol, comme l'échine d'un fabuleux animal au pelage changeant à l'infini, des lacs entiers de frisson et de noire fraîcheur, des tourbillons de gouttes de lumière se déploient sans fin et en mouvement perpétuel autour de moi. Si j'avance, si je tourne, si je pars en diagonale, la successive variation de perspectives forme une mélodie continue qu'en toute clarté je me représente et que par instants choisis je parviens à entendre. Parfois, dans le quasi-dégoût de la plénitude, je joue à introduire de grands changements dans la disposition de ces merveilles. Je peux durant toute une journée exister sans aucun de mes semblables et j'explore des régions entières comme témoin absolu pour une éternité que je ne partagerai jamais avec personne. En d'autres occasions, je supprime végétation, eau, nuages, constructions ombriennes, et je laisse un soleil d'écorché m'entourer d'une infinitude flamboyante, où ma petitesse lutte glorieusement. Mais je ne néglige pas non plus la création de galeries, d'enceintes, de labyrinthes compliqués permettant de jouir de la sécurité des trajets indiqués et des endroits précis, maison invisible sous la protection de laquelle je reviens souvent pour me chercher dans ses miroirs. Ainsi se passe ma journée. La nuit venue, d'ordinaire je m'endors enflammé d'une légère fièvre, avec laquelle j'illumine ensuite les pièces sombres de l'autre palais qui est le double de celui-ci. En croisant sur ces hautes surfaces, parfois nous voyions venir à nous des montagnes. C'étaient toujours de ces grands volcans, aux lignes nobles, qui portent leur couronne avec une majesté solitaire de rois pasteurs sur les hautes steppes des Cordillères. Ils s'annonçaient d'habitude au crépuscule, sous l'aspect d'un nuage blanc en forme de cône ancré au-dessus de l'horizon dans la brume violette. Le matin les suspendait sur l'horizon, collés au ciel d'une ventouse de neige plus incandescente que de la lave, liés seulement à la terre par un double cil d'ombre d'une ligne pure, à peine distinct encore des bancs de brouillard - pareils, sur le haut lieu de cette immense table, au geste symétrique et solennel des bras dans l'ostension. Puis, à mesure que nous fendions les herbes, l'apparition dérivait sur l'horizon plat selon une orbe d'astre, avivant successivement tous les coins du ciel - comme une blessure où la vie se fait plus attentive - d'un épiderme d'ange que le soir empourprait de fusées de rougeurs. L'apparition s'effaçait, et il faisait ce plus profond silence que le ciel de nuit connaît après le passage d'une comète.
Par les nuits de ces grands pâturages, nous sentions les poumons dans notre poitrine jouer comme une bête qui s'éveille d'aise, élastique et fine, à l'épiderme subtil. Le vent du soir dans les hautes herbes balayait de la terre la dernière trace de moiteur, l'offrait au ciel nocturne dans la fraîcheur d'une grève lavée des mers froides. Nous recherchions d'instinct pour le campement du soir l'emplacement d'un tertre bas; la flamme avivée par le vent faisait courir au loin une moire de cercles sur le luisant de l'herbe. Nous demeurions là longtemps, assis près du feu, surpris de cette lueur à l'horizon qui ne voulait pas mourir au-dessus des touffes noires Le froid tombait : Jorge passait son poncho et s'éloignait vers les mules Enfoui jusqu'au rebord de son manteau dans les herbes, il oscillait bizarrement à contre-jour sur la surface comme une statue portée sur un brancard Une inquiétude exaltante prolongeait la veillée : sur ces plaines battantes comme une mer, le campement nous pesait comme l'ancre à un navire - comme par un soir de lune détacher une barque, l'envie nous prenait de dériver, de nous laisser glisser dans les ténèbres extérieures comme dans un lit ouvert, odorant et plus secret. Orlando s'endormait : je me coulais dans les herbes, lissant du dos de la main les tiges déjà glacées, jusqu'à l'endroit éloigné où Jorge veillait près des mules, et je trouvais au fond de cette nuit deux yeux ouverts, comme le feu et la soupe chaude au bout d'une étape lointaine. Le feu mourait : avant le matin un peu de braise rose était le point le plus vivant de ces hautes terres, jusqu'à l'extrême horizon. La nuit émoussée
tournait déjà à l'aurore. Sa violence spectrale se crispait, rendant tout étrange et difficile. La lumière n'était pas la lumière, ni l'amour l'amour, et ce n'était pas moi qui savais ce qui se sait, et l'air non plus n'était pas celui qu'on respire. Quelque chose en moi a cessé, quelque chose qui n'était ni mien, ni étranger, ni mon royaume. (Je suis tombé hors du monde, sans force le regard, la couronne sans poids, les yeux fermés comme pour mourir.) Et le souffle de la nuit est venu, agile et pur, il est venu je ne sais pourquoi. Et il a parcouru mon front voulant et ne voulant pas, me pleurant et pleurant à la fois sans motif ou peut-être sans pleurer. Ce n'était pas moi qu'il cherchait et ce n'est pas moi qui l'ai trouvé; il était la pure rencontre et moi la seule attente. Ce n'était pas à moi qu'il disait sa parole secrète, ou peut-être ne l'a-t-il pas dite. (Il n'est pas venu pour être entendu ni pour que je réponde, il est venu parce que c'est ainsi.) Mais moi je répondais par des affres et des regards, je ne sais pourquoi. (La lumière n'était pas la lumière, ni l'air celui qu'on respire, et le souffle ne m'appelait pas; mais je répondais.) Je ne sais pourquoi, par des affres et des regards de vivant je lui répondais. Il est venu agile et pur, ni en vain ni à raison, ni pour moi ni m'ignorant, mais selon une autre loi. (Il est venu parce que c'est ainsi, parce qu'il est le libre étranger, ce qui ne nous connaît pas, ce qui est précieux, qui est autre...) Un grand palais aux corridors nuageux - par-devant des perspectives de soleil et de brumes, ce plain-chant matinal du soleil sur les bancs de brouillard qui se déchirent aux pointes des phares, un novembre perpétuel d'averses chantantes, d'oiseaux perdus qui d'un seul cri débarrassent le large, - par-derrière une pelouse domestique avec volière et vue de gazomètre- je me retirais là pour des semaines, pour des vacances libres, des parties de plaisir, de seul à seul multipliés comme un jeu de glaces, comme des perspectives en trompe-l’œil. Les méandres des corniches s’accommodaient de ce jour spécial des monuments battus par les marées. Le seul mobilier était de sextants, de sphères méridiennes, d'astrolabes faussés et en général tout ce qui peut jeter un doute pour une cervelle pensante sur la prévision accablante d'une suite de jours par trop conforme à l'index du calendrier. Par les jours de soleil trop cru, on étalait sur des espars une tapisserie de brumes, à l'aplomb architectural des moulures pendait à sécher la belle lessive des trois mâts longs courriers, un luxe de batistes lourdes comme des brocarts, de vélums fantomatiques, et, gonflé, pansu, énorme comme l'armoire vernie de la coque d'où jaillissent les suaires géants du beau temps, le palais voguait sur un entre-deux de planètes, un éther fécondé de béantes mamelles blanches, de cumulus de toiles, d'un maelström claquant de blancheurs, l'impudeur géante d'un lâcher de voiles de mariée.
À l'intérieur de son caveau, l'Ogal a poussé ses mains comme des tiges. Ses ongles, retournés dans un creux de l'espace qui s'étend en creux, écorchent en lui le petit cœur rouillé jusqu'à l'odeur du sang.
La main s'étend par une blessure de la carcasse, la main à cinq langues fourchues, qui se fourchent, se fourchent, se fourchent, se fourchent... Et c'est alors la vision du grand Brillant des flammes, hérissé de griffes et gestes durs... remontant, à force de tranchants, le cours d'un âge où bat, avec des décharges de lune noire, l'aile sifflante et perçante, l'aile, aux plumes-facettes, de l'oiseau-lame. Et l'Oiseau-Noir relève la trace d'un grand incendie. Le Passage-Noir garde les marques d'un oiseau de nuit. C'est ici, disait une voix, c'est ici que j'apprends à défaire mon corps... J'ai déchiré mon corps, cette mâchoire autour d'un creux. Et mon geste, c'est l'espace cerné, le moule, en griffes radiées, réversible à l'image d'un gant de la nuit cloutée... Et je préfère m'ouvrir les mains. Mes yeux se sont jetés partout, perçant le voir et le dormir. Les fantômes, s'ils apparaissent, auront la couleur du vide de la demi-lune noyée sur le plan du métal. Ce qui est rouge s'épaissira jusqu'à la consistance du noir. Un soleil de demain, en sa chaleur de cruauté crispée, nous saisira DEMAIN, comme nous en reparlerons. Adieu... et en meilleur forme... Comme les tombeaux se font vieux, si moi je rajeunis! Le Sombrefer, mon compagnon devenu fille par la grâce de la femelle d'acier et de la foudre de même sexe, le Sombrefer, mon éclaireur, aura des petits de ma mémoire. De quel effondrement écrivons-nous,
de quel horizon à la sourde vibration écho d’un monstre double à l’éclatante diction. De quelle faille, de quelle flétrissure, parvenons-nous à nourrir nos ventres afin qu’ils rendent en quelques vomissures ces brouillons d’éternité, ces ratures. Nos chairs toutes sorties du même enfer, du même chaos de ferraille, en ces décharges de têtes nues, de cœurs rudimentaires. Avons-nous trop parcouru cette ville où des ombres aux balcons saluaient à gestes lents la grande foule des tortionnaires ? Quand nous aurons vendu notre corps à tous les diables,
cédé les domaines de nos rêves, quand nous aurons oublié jusqu’à ces mains qui n’ont jamais oublié les nôtres, quand nous aurons largué toutes les amarres, tout ce qui nous retient ici-bas sur ces rives violentes, quand nous nous serons défaits de l’emprise de nos peaux marquées par les stigmates du désir, quand nous aurons oublié la faim et la soif, quand nous aurons tout oublié il nous suffira de tout recommencer, là où les archives du fleuve se réconcilient avec celles de la mer. Contemple tous les soirs le soleil qui se couche:
Rien n'agrandit les yeux et l'âme, rien n'est beau Comme cette heure ardente, héroïque et farouche, Où le jour dans la mer renverse son flambeau. Pareil, dans un repli secret de la falaise, A cette conque amère où soupirent les flots, Poète, ô labyrinthe impénétrable! apaise Ton coeur sanglant rempli de sel et de sanglots. Tourne vers l'horizon ton front mouillé, ta bouche Ouverte, et que tes yeux desséchés par le vent Aillent du lieu tragique où le soleil se couche Aux nocturnes brouillards violets du levant. Pèse en les mesurant ces hautes destinées Dont la lumière accrue aveuglait au zénith, Et qui montaient encore et se sont inclinées Lourdement vers l'obscur sépulcre où tout finit. L'humanité sans foi vieillit dans l'amertume; Songe aux dieux que son jeune espoir crut immortels; Leurs encensoirs rouillés exhalent de la brume, Et l'araignée argente et brode leurs autels. Songe aux peuples déchus: ils furent grands. Ta race Avait d'un glorieux azur nourri ses lys, Et ses rois lâches l'ont, débouclant leur cuirasse, Laissé s'entre-tuer sur ses drapeaux salis. La guêpe des fruits mûrs s'attaque aux seins de marbre; Songe aux amants qu'on a vus rire avec orgueil: Leurs noms entrelacés qu'ils gravaient sur un arbre Sous l'écorce ont marqué le bois de leur cercueil. La trompe aux rauques sons qu'un pâtre morne embouche Rassemble les troupeaux épars sur les prés ras. Toi, devant le soleil soucieux qui se couche, Songe à tous les soleils qui ne renaîtront pas; Et tandis qu'abordant au ciel, la nuit sévère Plante dans le linceul du jour enseveli Des astres plus cruels que les clous du Calvaire, Loin du roc par le flot séculaire poli, Loin des vents querelleurs et de la mer qui tonne, Remporte en gravissant d'un pas triste et cassé Des chemins sans échos au bâton qui tâtonne, Le silence d'un coeur où l'amour a passé. C'est toi-même, c'est toi qui songes dans mes bras.
Te voici pour toujours mienne, tu dormiras Mêlée à moi, fondue en moi, pensive, heureuse, Et prodigue sans fin de ton âme amoureuse ! O Dieu juste, soyez béni par cet enfant Qui voit et contre lui tient son rêve vivant ! Mais toi, parle, ou plutôt, sois muette, demeure Jusqu'à ce qu'infidèle au ciel plus pâle, meure Au levant la dernière étoile de la nuit. Déjà l'eau du matin pèse à l'herbe qui luit, Et, modelant d'un doigt magique toutes choses, L'aube à pleins tabliers sème ses jeunes roses. O la sainte rumeur de sève et de travail ! Écoute passer, cloche à cloche, le bétail, Et rauquement mugir la trompe qui le guide. La vallée a ses tons d'émeraude liquide, Les toits brillent, les bois fument, le ciel est clair, Chaque vitre au soleil répond par un éclair, La douceur de la vie entre par la fenêtre. J'aime à cause de toi l'aube qui vient de naître, Et mêlée à la grâce heureuse du décor, Mon immortelle amour, tu m'es plus chère encor. Nous tremblons enivrés du vin de notre fièvre, Et nous nous demandons tout bas et lèvre à lèvre Quels matins purs, quels soirs lumineux et bénis Couvent nos doigts tressés comme les brins des nids. Et ni la terre en joie et ni le ciel en flammes, Rien ne détourne plus du rêve nos deux âmes, Qui, parmi la rumeur grandissante du jour, Pleurent dans le silence infini de l'amour Ce grand coeur marqué du signe de Saturne
Il ne sied pas, sur la colline, d'ériger Dans les bocages verts un monument léger: Laisse l'ombre à l'esprit songeur et taciturne. Élève sur le roc cette stèle et cette urne: L'if noir remplacera le myrte et l'oranger; Si parmi nous il dort comme un triste étranger, Sois-lui du moins clémente, ô douce paix nocturne! Sur le marbre glacé qui comprime son front, Le soir, silencieux et froids, se poseront Les corbeaux ténébreux et les aigles rapaces. Ne grave ni flambeau, ni colombe, ni fleur. Respecte sa pensée amère. Ô toi qui passes, Lis ces seuls mots : "Il fut aimé de la Douleur !" Cinquante heures de nuit préparatoire, ô Maître !
Demain s'éblouiront d'aurore, et nous saurons A l'ombre magistrale errante sur nos fronts Qu'on a vu sourdre l'or et la lumière naître. Eux aussi vont jurer que pas un ne fut traître Au doigt qui désignait l'aube rouge des troncs. Le jour croit. Vous verrez tous les mauvais larrons, Qui fuyaient de vous suivre au désert, reparaître ! Ils donneront à qui méprisa leur troupeau La gloire qu'ils rêvaient de pourpre sur leur peau Et les lauriers d'argent piqués aux fers de lance; Mais nous n'entendrons pas ces voix soûles de bruit Car nous avons coupé pour le plus pur silence Sous vos pieds créateurs les roses de la nuit.
ELLE SE FIT ÉLEVER UN PALAIS QUI RESSEMBLAIT A UN ÉTANG DANS UNE FORÊT, CAR TOUTES LES APPARENCES RÉGLÉES DE LA LUMIÈRE ÉTAIENT ENFOUIES DANS DES MIROIRS, ET LE TRÉSOR DIAPHANE DE SA VERTU REPOSAIT AU FOND DES ORS ET DES ÉMERAUDES, COMME UN SCARABÉE.
Un taillis de nuages sur un rond-point solaire Un navire chargé de paille sur un torrent de quartz Une petite ombre qui me dépasse Une femme plus petite que moi Pesant autant dans la balance des pygmées Qu'un cerveau d'hirondelle sur le vent contraire Que la source à l’œil vague sur la marée montante Un jour plus loin l'horizon ressuscite Et montre au jour levant un jour qui n'en finissait plus Le toit s'effondre pour laisser entrer le paysage Haillons des murs pareils à des danses désuètes La fin maussade d'un duel à mort où naissent des retraites aux bougies La mise au tombeau comme on tue la vermine Rire aux éclats une palette qui se constitue La couleur brûle les étapes Court d'éblouissements en aveuglements Montre aux glaciers d'azur les pistes du sang Le vent crie en passant roule sur ses oreilles Le ciel éclatant joue dans le cirque vert Dans un lac sonore d'insectes Le verre de la vallée est plein d'un feu limpide et doux Comme un duvet Cherchez la terre Cherchez les routes et les puits les longues veines souterraines Les os de ceux qui ne sont pas mes semblables Et que personne n'aime plus Je ne peux pas deviner les racines La lumière me soutient Cherchez la nuit Il fait beau comme dans un lit Ardente la plus belle des filles adorantes Se prosterne devant les statues endormies de son amant Elle ne pense pas qu'elle dort La vie joue l'ombre la terre entière Il fait de plus en plus beau nuit et jour La plus belle des amantes Offre ses mains tendues Par lesquelles elle vient de loin Du bout du monde de ses rêves Par des escaliers de frissons et de lune au galop A travers des asphyxies de jungle Des orages immobiles Des frontières de ciguë Des nuits amères Des eaux livides et désertes A travers des rouilles mentales Et des murailles d'insomnie Tremblante petite fille aux tempes d'amoureuse Où les doigts des baisers s'appuient contre le coeur d'en haut Contre une souche de tendresse Contre la barque des oiseaux La fidélité infinie C'est autour de sa tête que tournent les heures sûres du lendemain Sur son front les caresses tirent au clair tous les mystères C'est de sa chevelure De la robe bouclée de son sommeil Que les souvenirs vont s'envoler Vers l'avenir cette fenêtre nue Une petite ombre qui me dépasse Une ombre au matin. A minuit, au mois de juin, je suis sous la lune mystique : une vapeur opiacée, obscure, humide, s'exhale hors de son contour d'or et, doucement se distillant, goutte à goutte, sur le tranquille sommet de la montagne, glisse, avec assoupissement et musique, parmi l 'universelle vallée. Le romarin salue la tombe, le lis flotte sur la vague; enveloppant de brume son sein, la ruine se tasse dans le repos : comparable au Léthé, voyez ! le lac semble goûter un sommeil conscient et, pour le monde ne s'éveillerait. Toute la Beauté dort : et repose, sa croisée ouvert au ciel, Irène avec ses Destinées.
Oh! dame brillante, vraiment est-ce bien, cette fenêtre ouverte à la nuit ? Les airs folâtres se laissent choir du haut de l'arbre rieusement par la persienne; les airs incorporels, troupe magique, voltigent au-dedans et au-dehors de la chambre, et agitent les rideaux du baldaquin si brusquement - si terriblement!- au-dessus des closes paupières frangées où ton âme en le somme gît cachée, que, le long du plancher et en bas du mur, comme des fantômes s'élève et descend l'ombre. Oh ! dame aimée, n'as-tu pas peur ? Pourquoi ou à quoi rêves-tu maintenant ici ? Sûr, tu es venue de par les mers du loin, merveille pour les arbres de ces jardins. Étrange est ta pâleur! Étrange est ta toilette! étrange par-dessus tout la longueur de tes cheveux, et tout ce solennel silence. La dame dort ! oh! puisse son sommeil, qui se prolonge, de même être profond. Le Ciel la tienne en sa garde sacrée. La salle changée en une plus sainte, ce lit en un plus mélancolique, je prie Dieu qu'elle gise à jamais sans que s'ouvre son oeil, pendant qu'errent les fantômes aux plis obscurs. Mon amour, elle dort ! oh! puisse son sommeil, comme il est continu, de même être profond. Que doucement autour d'elle rampent les vers ! Loin dans la forêt, obscure et vieille, que s'ouvre pour elle quelque caveau qui souvent a fermé les ailes noires de ses oscillants panneaux, triomphal, sur les tentures armoriées des funérailles de sa grande famille - quelque sépulcre, écarté, solitaire, contre le portail duquel elle a lancé, dans sa jeunesse, mainte pierre oisive - quelque tombe hors de la porte retentissante de laquelle elle ne fera plus sortir jamais d'écho, frissonnante de penser, pauvre enfant de péché! que c'étaient les morts qui gémissaient à l'intérieur. LE PETIT PORT BLEU
La petite rade est faite au tour. Elle est modelée comme une double coupe, par le maître ouvrier qui boit la mer dans son verre. Des îles ciselées, en marbre rose ou en pierre bleue, selon les heures, sont posées sur l'eau, comme sur une table des aiguières. Elles ferment le petit port, et la falaise, à pic, le partage en deux. Les deux vasques sont pareilles, l'une devant l'autre, telle une grosse main d'homme à côté d'une main d'enfant ouverte: le port en miniature est logé dans la grosse main; et le doigt du milieu, c'est la jetée blanche. Tout est bleu, bleu, bleu; et les pierres sont blanches. La neige n'est pas d'un blanc plus pur que ces pierres au soleil, entre la mer et le ciel bleus. Au fond, des collines pelées, à la base d'argile rouge, font la haie contre le vent. Tirées sur les galets, peintes en vert et en bleu, les barques semblent toutes neuves : le bordage, on dirait du sel. Large et long, le quai serpente suivant la courbe de la mer, qui clapote. Toutes les façades sont blanches rehaussées d'un filet ou bleu ou vert. Le quai est une promenade, où ne musent que deux ou trois bons vieux : ils sont bien cuits, le soleil leur a mis sur la peau une peau d'oignon mûr; parfois ils devisent, et parfois ils se taisent; ils causent, de l'œil; et ils se comprennent, branlant du menton, en disant : — Ho-ou ! Les eucalyptus et les tamaris font de longues ombres minces, comme feuilles de sauge. On n'entend pas parler. Les chiens n'aboient pas. Les filets sèchent au soleil, réseau d'or noir, magnifique dentelle; des pêcheurs accroupis les réparent, jambes et pieds nus. On sent un parfum très fin de goudron. A l'horizon de terre, les montagnes sont noires de pins. Et sur le rivage, descendent jusque dans la vague les collines du vert le plus gris: elles sont tapissées d'immortelles laiteuses; c'est la culture du pays, une plante humble comme une mousse, mais qui a une odeur de thym et d'aromate. 1.
Mon cœur souffre et la douleur engourdit Mes sens, comme si j'avais bu d'un trait La ciguë ou quelque liquide opiacé, Et coulé, en un instant, au fond du Léthé : Ce n'est pas que j'envie ton heureux sort, Mais plutôt que je me réjouis trop de ton bonheur, Quand tu chantes, Dryade des bois aux ailes Légères, dans la mélodie d'un bosquet De hêtres verts et d'ombres infinies, L'été dans l'aise de ta gorge déployée. 2. Oh, une gorgée de ce vin ! Rafraîchi dans les profondeurs de la terre, Ce vin au goût de Flore, de verte campagne, De danse, de chant provençal et de joie solaire ! Oh, une coupe pleine du Sud brûlant, Pleine de la vraie Hippocrène, si rougissante, Où brillent les perles des bulles au bord Des lèvres empourprées ; Oh, que je boive et que je quitte le monde en secret, Pour disparaître avec toi dans la forêt obscure : 3. Disparaître loin, m'évanouir, me dissoudre et oublier Ce que toi, ami des feuilles, tu n'a jamais connu, Le souci, la fièvre, le tourment d'être Parmi les humains qui s'écoutent gémir. Tandis que la paralysie n'agite que les derniers cheveux, Tandis que la jeunesse pâlit, spectrale, et meurt ; Tandis que la pensée ne rencontre que le chagrin Et les larmes du désespoir, Tandis que la Beauté perd son œil lustral, Et que l'amour nouveau languit en vain. 4. Fuir ! Fuir ! m'envoler vers toi, Non dans le char aux léopards de Bacchus, Mais sur les ailes invisibles de la Poésie, Même si le lourd cerveau hésite : Je suis déjà avec toi ! Tendre est la nuit, Et peut-être la Lune-Reine sur son trône, S'entoure-t-elle déjà d'une ruche de Fées, les étoiles ; Mais je ne vois ici aucune lueur, Sinon ce qui surgit dans les brises du Ciel à travers les ombres verdoyantes et les mousses éparses. 5. Je ne peux voir quelles fleurs sont à mes pieds, Ni quel doux parfum flotte sur les rameaux, Mais dans l'obscurité embaumée, je devine Chaque senteur que ce mois printanier offre à l'herbe, au fourré, aux fruits sauvages ; à la blanche aubépine, à la pastorale églantine ; Aux violettes vite fanées sous les feuilles ; Et à la fille aînée de Mai, La rose musquée qui annonce, ivre de rosée, Le murmure des mouches des soirs d'été. 6. Dans le noir, j'écoute ; oui, plus d'une fois J'ai été presque amoureux de la Mort, Et dans mes poèmes je lui ai donné de doux noms, Pour qu'elle emporte dans l'air mon souffle apaisé ; à présent, plus que jamais, mourir semble une joie, Oh, cesser d'être — sans souffrir — à Minuit, Au moment où tu répands ton âme Dans la même extase ! Et tu continuerais à chanter à mes oreilles vaines Ton haut Requiem à ma poussière. 7. Immortel rossignol, tu n'es pas un être pour la mort ! Les générations avides n'ont pas foulé ton souvenir ; La voix que j'entends dans la nuit fugace Fut entendue de tout temps par l'empereur et le rustre : Le même chant peut-être s'était frayé un chemin Jusqu'au cœur triste de Ruth, exilée, Languissante, en larmes au pays étranger ; Le même chant a souvent ouvert, Par magie, une fenêtre sur l'écume De mers périlleuses, au pays perdu des Fées. 8. Perdu ! Ce mot sonne un glas Qui m'arrache de toi et me rend à la solitude ! Adieu ! L'imagination ne peut nous tromper Complètement, comme on le dit — ô elfe subtil ! Adieu ! Adieu ! Ta plaintive mélodie s'enfuit, Traverse les prés voisins, franchit le calme ruisseau, Remonte le flanc de la colline et s'enterre Dans les clairières du vallon : était-ce une illusion, un songe éveillé ? Elle apparaît… comme ces figures dont le poëte
voit les yeux étinceler à travers le feuillage sombre, quand, dans sa promenade du soir, il rêve de l’amour et du ciel. Th. Moore. Amours des anges. … La reine Mab m’a visité. C’est elle Qui fait dans le sommeil veiller l’âme immortelle. Émile Deschamps. Roméo et Juliette. Que ce soit Urgèle ou Morgane, J’aime, en un rêve sans effroi, Qu’une fée, au corps diaphane, Ainsi qu’une fleur qui se fane, Vienne pencher son front sur moi. C’est elle dont le luth d’ivoire Me redit, sur un mâle accord, Vos contes, qu’on n’oserait croire, Bons paladins, si votre histoire N’était plus merveilleuse encor. C’est elle, aux choses qu’on révère Qui m’ordonne de m’allier, Et qui veut que ma main sévère Joigne la harpe du trouvère Au gantelet du chevalier. Dans le désert qui me réclame, Cachée en tout ce que je vois, C’est elle qui fait, pour mon âme, De chaque rayon une flamme, Et de chaque bruit une voix ; Elle, qui dans l’onde agitée Murmure en sortant du rocher, Et, de me plaire tourmentée, Suspend la cigogne argentée Au faîte aigu du noir clocher ; Quand, l’hiver, mon foyer pétille, C’est elle qui vient s’y tapir, Et me montre, au ciel qui scintille, L’étoile qui s’éteint et brille, Comme un œil prêt a s’assoupir ; Qui, lorsqu’en des manoirs sauvages J’erre, cherchant nos vieux berceaux, M’environnant de mille images, Comme un bruit du torrent des âges, Fait mugir l’air sous les arceaux ; Elle, qui, la nuit, quand je veille, M’apporte de confus abois, Et, pour endormir mon oreille, Dans le calme du soir, éveille Un cor lointain au fond des bois. Que ce soit Urgèle ou Morgane, J’aime, en un rêve sans effroi, Qu’une fée, au corps diaphane, Ainsi qu’une fleur qui se fane, Vienne pencher son front sur moi ! À M. Louis Boulanger.
Away ! - Away ! - (En avant ! En avant !) BYRON, Mazeppa. I. Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure, A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure, Tous ses membres liés Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines, Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines Et le feu de ses pieds ; Quand il s'est dans ses nœuds roulé comme un reptile, Qu'il a bien réjoui de sa rage inutile Ses bourreaux tout joyeux, Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche, La sueur sur le front, l'écume dans la bouche, Et du sang dans les yeux, Un cri part ; et soudain voilà que par la plaine Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine, Sur les sables mouvants, Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre Pareil au nuage noir où serpente la foudre, Volent avec les vents ! Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent, Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent, Comme un globe de feu ; Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume, Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume Au vaste océan bleu. Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense, Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence, Ils se plongent tous deux. Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes, Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes, Tout chancelle autour d'eux. Et si l'infortuné, dont la tête se brise, Se débat, le cheval, qui devance la brise, D'un bond plus effrayé, S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable, Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable, Comme un manteau rayé. Tout vacille et se peint de couleurs inconnues : Il voit courir les bois, courir les larges nues, Le vieux donjon détruit, Les monts dont un rayon baigne les intervalles ; Il voit ; et des troupeaux de fumantes cavales Le suivent à grand bruit ! Et le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent, Avec ses océans de nuages où plongent Des nuages encor, Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue, Sur son front ébloui tourne comme une roue De marbre aux veines d'or ! Son oeil s'égare et luit, sa chevelure traîne, Sa tête pend ; son sang rougit la jaune arène, Les buissons épineux ; Sur ses membres gonflés la corde se replie, Et comme un long serpent resserre et multiplie Sa morsure et ses nœuds. Le cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle, Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle, Sa chair tombe en lambeaux ; Hélas ! voici déjà qu'aux cavales ardentes Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes, Succèdent les corbeaux ! Les corbeaux, le grand-duc à l’œil rond, qui s'effraie, L'aigle effaré des champs de bataille, et l'orfraie, Monstre au jour inconnu, Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve Qui fouille au flanc des morts où son col rouge et chauve Plonge comme un bras nu ! Tous viennent élargir la funèbre volée ; Tous quittent pour le suivre et l'yeuse isolée, Et les nids du manoir. Lui, sanglant, éperdu, sourd à leurs cris de joie, Demande en les voyant qui donc là-haut déploie Ce grand éventail noir. La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée. L'essaim s'acharne, et suit, tel qu'une meute ailée, Le voyageur fumant. Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre Il les voit, puis les perd, et les entend dans l'ombre Voler confusément. Enfin, après trois jours d'une course insensée, Après avoir franchi fleuves à l'eau glacée, Steppes, forêts, déserts, Le cheval tombe aux cris de mille oiseaux de proie, Et son ongle de fer sur la pierre qu'il broie Éteint ses quatre éclairs. Voilà l'infortuné, gisant, nu, misérable, Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable Dans la saison des fleurs. Le nuage d'oiseaux sur lui tourne et s'arrête ; Maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête Ses yeux brûlés de pleurs. Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne, Ce cadavre vivant, les tribus de l'Ukraine Le feront prince un jour. Un jour, semant les champs de morts sans sépultures, Il dédommagera par de larges pâtures L'orfraie et le vautour. Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice. Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse, Grand à l’œil ébloui ; Et quand il passera, ces peuples de la tente, Prosternés, enverront la fanfare éclatante Bondir autour de lui ! II. Ainsi, lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale, S'est vu lier vivant sur ta croupe fatale, Génie, ardent coursier, En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes Hors du monde réel dont tu brises les portes Avec tes pieds d'acier ! Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues, De sombres régions ; Et mille impurs esprits que ta course réveille Autour du voyageur, insolente merveille, Pressent leurs légions ! Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme, Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme ; Boit au fleuve éternel ; Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée, Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée, Flamboie au front du ciel. Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne, Le pôle, arrondissant une aurore nocturne Sur son front boréal, Il voit tout ; et pour lui ton vol, que rien ne lasse, De ce monde sans borne à chaque instant déplace L'horizon idéal. Qui peut savoir, hormis les démons et les anges, Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges À ses yeux reluiront, Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles, Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes Viendront battre son front ? Il crie épouvanté, tu poursuis implacable. Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable Il ploie avec effroi ; Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe. Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe, Et se relève roi ! |
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