Aucune enfance n'a été plus soustraite que la sienne aux lois et aux aventures de l'enfance; non seulement il est privé de son père et de sa mère, mais on s'étonne, à voir les personnages singuliers et véhéments qui l'entourent, qu'il s'en soit trouvé un seul pour lui apprendre à marcher. Son adolescence n'a pas été moins théorique; pour le protéger du monde, une ronde de vieillards jansénistes fit la haie autour de la pelouse en fleurs où le jeune Racine se livrait, entre visiteuses et visiteurs uniquement grecs et latins, aux occupations les plus passionnées, mais les plus imaginaires. L'étude et la joie de l'étude ont remplacé pour lui tout contact avec la vie, tout bonheur, toute catastrophe, jusqu'au jour où il pénétra dans un monde plus dénué encore d'assise que celui où il vivait déjà, dans le théâtre. Il n'a en somme connu que des opérations et des gens costumés. Mais, et ne refusons pas une telle apothéose à l'écriture, il se trouve que du contact entre cette jeunesse sans jeunes et ce milieu d'artifices, est née soudain l'œuvre la plus directe et la plus réaliste du siècle. Les lois esthétiques sont sans doute aussi rigides que les lois mathématiques: ses découvertes sur les hommes, Racine les a dégagées avec une distraction, avec un détachement de l'humanité aussi grand que celui du géomètre pour la vie courante et familiale des chiffres et des figures. Il n'est pas un sentiment en Racine qui ne soit un sentiment littéraire. |