(...) les narrateurs ou aèdes polynésiens récitaient leurs poèmes par cœur, en s'aidant de petites cordes tressées, dont les nœuds étaient égrenés entre les doigts, au fur et à mesure des épisodes de la narration. (...) le faisceau de cordelettes était pour la mémoire orale un instrument indispensable, une manière de fixer le texte avant toute idée d'écriture. "Cette tresse - écrit Segalen -, on la nommait Origine- du- Verbe, car elle semblait faire naître les paroles." L'avènement de l'écriture, c'est à dire le simple fait de savoir que les hommes blancs confient leur mémoire à des signes noirs sur des feuilles blanches, fait naître une crise dans les procédés de la mémoire orale : les aèdes oublient leurs poèmes, les cordelettes restent muettes dans leurs mains. La tradition orale - écrit Giorgio Agamben en commentant Segalen - garde le contact avec l'origine mythique de la parole, c'est à dire avec ce que l'écriture a perdu et qu'elle poursuit continuellement; la littérature est la tentative incessante de récupérer ces origines oubliées. |