La vitesse (réalisant) la synthèse intuitive de toute la force en mouvement est naturellement pure. L’analyse rationnelle de toutes les fatigues en repos est naturellement immonde
. Après la destruction de l’antique Bien, et de l’antique Mal, nous créons un nouveau Bien : la vitesse, et un nouveau Mal : la lenteur.
Vitesse = synthèse de tous les courages en action. Agressive et guerrière .
Lenteur= analyse de toutes les prudences stagnantes. Passive et pacifiste.
Vitesse= dépassement des obstacles, désir de neuf et d’inexploré. Modernité, hygiène.
Lenteur= arrêt, extase, adoration immobile des obstacles,nostalgie du déjà vu, idéalisation de la fatigue, et du repos, pessimisme à propos de l’inexploré. Romantisme rance du poète-voyageur et sauvage, et du philosophe chevelu, à lunettes et sale.
Si prier veut dire communiquer avec la divinité, courir à grande vitesse est une prière. Sainteté de la roue et de l’ornière. Il faut s’agenouiller devant la vitesse tournante d’une boussole gyroscopique : vint mille tours à la minute, vitesse mécanique maximale atteinte par l’homme. Il faut ravir aux astres le secret de leur vitesse stupéfiante, incompréhensible. Nous participerons donc à la grande bataille céleste, nous affronterons les astres boulets lancés par des canons invisibles; nous rivaliserons avec l’étoile 1830 Groombridge, qui vole à 241 kilomètres à la seconde, avec Arturo qui vole à 413 kilomètres à la seconde. Invisibles artilleries mathématiques. Guerres en quoi les astres, devenant en un instant projectiles et artillerie, luttent de vitesse pour échapper à un astre plus grand ou pour frapper un plus petit. Nos saints sont les innombrables corpuscules qui pénètrent dans notre atmosphère à une vitesse moyenne de 42000 kilomètres à la seconde.
Nos saintes sont la lumière et les ondes électromagnétiques. 3 x 10 puissance 10 mètres à la seconde. L’ivresse de la grande vitesse en automobile n’est pas que la joie de se sentir fusionner avec l’unique divinité. Les sportsmen sont les premiers catéchumènes de cette religion. Prochaine destruction des maisons et des villes, pour former des grandes réunions d’automobiles et d’aéroplanes.
Lieux habités par le divin : les trains , les wagons-restaurants (manger en vitesse). Les stations ferroviaires; spécialement celles de l’Ouest américain, où les trains lancés à cent à l’heure passent, avalant sans s’arrêter l’eau dont ils ont besoin, et les sacs postaux. Les ponts et les tunnels.
La place de l’opéra de Paris. Le Stand de Londres. Les circuits automobiles. Les films cinématographiques. Les stations
radiotélégraphes. Les grandes conduites qui précipitent des colonnes d’eau alpestre pour arracher à l’atmosphère l’électricité motrice. Les grands couturiers parisiens qui grâce à l’invention rapide des modes, créent la passion de la nouveauté et la haine du déjà vu. La cité la plus moderne et active comme Milan qui selon les Américains a le punch ( coup net et précis, avec lequel le boxeur met son adversaire knock-out).
Les champs de bataille, les mitrailleuses, les fusils, les canons, les projectiles sont divins. Les mines et les contre-mines rapides. Faire sauter l'ennemi AVANT que l’ennemi ne vous fasse sauter. Les moteurs à explosion et les pneumatiques d’une automobile sont divins. Les bicyclettes et les motocyclettes sont divines. L’essence est divine. Extase religieuse qu’inspire le cent chevaux. Joie de passer de la troisième à la quatrième vitesse. Joie d’appuyer sur l’accélérateur. Pédale ronflante de la musicale vitesse. Dégoût qu’inspire les personnes engluées dans le sommeil. Répugnance que j’éprouve à me coucher le soir. Je prie chaque soir mon ampoule électrique, parce qu’une vitesse s’y agite furieusement .
L’héroïsme est une vitesse qui s’est rattrapée elle-même, parcourant le plus vaste des circuits.