Il doit tout d’abord écarter le voile épais de l’intellect puis réduire le moi au plus religieux silence s’il veut qu’au foyer de son être se fasse entendre le murmure de la voix souveraine, que la parole de vérité soit proférée.
L’individualité doit tout d’abord s’effacer devant l’Impersonnel. Ainsi le poète s’éveillera-t-il au monde du Logos – ou Dieu manifesté par la parole – dont il est le témoin et l’instrument.
La poésie est art de l’Unité et il faut aller quérir celle-ci à sa source incréée. Alors le poème exprimera un aspect du divin.
Ce Verbe natif est manifestation du Soi qui, dans l’homme, est un principe permanent nullement séparé du Soi primordial ou Soi-racine se tenant au cœur du macrocosme.
Le poète a conscience que cette prononciation mystique se différencie très nettement d’un réflexe provenant des zones claires ou obscures de sa propre pensée. Éclair de la transcendance, c’est une insinuation inéluctable qui se diffuse dans son moi et ira d’ailleurs jusqu’à le modifier graduellement et en profondeur.
Cependant, il ne s’agit point là d’un dire tyranniquement imposé dont il faudrait être l’esclave. L’artiste est un démiurge. Un peu de l’infinie liberté du Principe lui a été dévolue. La possibilité demeure pour lui de donner forme et structure, par des opérations délicates et quelquefois longues, à ce feu philosophal qu’il a recueilli à l’état naturel.
Restituer le mieux possible les inflexions et le rythme de la voix mystique, incarner l’idée qu’elle exprime dans de vivantes images tendant à faire saisir l’insaisissable, « précipiter », clarifier, intensifier cette vibration parfois si ténue, si difficile à capter et à traduire, telles sont quelques-unes des phases de l’alchimie poétique.
Mais il faut aussi que le poète sache provoquer l’inspiration, car il ne reçoit spontanément qu’à de bien trop rares instants l’influx verbal issu de la Présence infinie. Il est donc indispensable qu’il entreprenne un voyage initiatique, qu’il s’achemine par degrés et au prix de ses seuls efforts à travers les contrées intérieures, en direction du point focal de l’être où rayonne l’étincelle divine enfouie dans toute individualité et où, par conséquent, jaillissent les sources du Logos.
Pour se préparer à cette quête, le poète peut, selon ses impulsions, soit cultiver un état de transe d’une grande réceptivité et d’une parfaite fluidité, soit aiguiser, par un travail lucide et obstiné, la fine pointe de l’attention. Ainsi, il fera éclater les limites de la conscience, il ouvrira un pertuis dans la muraille qui le sépare des terræ incognitæ de l’inconscient.
Dès lors, à la faveur du silence intérieur et de la nuit mentale, le poète va commencer à parcourir les cavernes de son être pour y rechercher la Parole perdue.