L'homme est un prisme aux faces innombrables: sur chacune se dessine un reflet différent. Je ne fais pas le portrait de Breton; je fais (je tente de faire) le portrait de son portrait. J'essaie de décrire l'image que je conserve de lui. Image nécessairement fragmentaire et partisane. Fragmentaire : je n'ai ^pas vu tous les aspects de mon personnage. Partisane : au nombre des aspects qui ont été vus, il en est qui me paraissent plus importants que d'autres. Si je me trompais ? On ne peut que se poser la question. C'est un autre qui a connu Breton, l'a aimé. L'un de mes fantômes, et je ne suis pas sûr de porter sur les êtres et les choses les mêmes jugements que lui. Peut-être l'admiration l'aveuglait-elle ou l'incitait-elle à conférer plus de signification à certaines paroles que ne l'eût fait un observateur impartial. Et aussi à minimiser d'autres paroles, violentes, injustes, cruelles. A faire trop largement la part du feu, en somme. Pour être tout à fait précis : le lecteur peut à bon titre me reprocher de laisser dans l'ombre les petitesses de Breton. De mentir par omission, car ces petitesses sont nombreuses, et très visibles dans ses livres, où bien des fois paraît un homme arrogant, trop sûr de former une image exacte de l'avenir pour pardonner à ceux qui en forment une image différente; tiré à hue par ses indignations et à dia par ses enthousiasmes; plus soucieux de persuader que de convaincre. Un homme qui avec trop de facilité attribue à ses adversaires des intentions ignobles et se plaît, si l'on peut ainsi parler, à dilater l'erreur en crime. Que répondre ? Je ne suis pas un critique. Les puces du livre, je pense que je peux et même que je dois laisser à ceux que la tâche intéresse le soin de les compter. Mon dessein est différent. Je m'efforce de mettre en mots ce que je nomme en mon langage personnel un psychoglyphe : la figure complexe que dessine dans l'espace mental un ensemble de souvenirs. Et ce travail je le fais honnêtement. |