Le mot con est aussi utilisé pour qualifier l’aveuglement devant l’expérience, qui mène à des jugements illusoires, à des idées banales, à des comportements psychorigides, dogmatiques et bornés.
On l’utilise également dans le vocabulaire relationnel : un con ne prend pas en considération, ou fort peu, autrui. Il est peu sympathique, dénigrant ou méprisant. Au con manque alors la psychologie nécessaire pour compatir avec les autres. On utilise aussi cette insulte pour marquer la carence culturelle, mais une carence qui est incroyable, peu commune, tant la culture attendue est élémentaire.
On peut noter que l’insulte qualifie les personnes qui disposent normalement des moyens d’éviter d’être con. On suppose par exemple que les données d’un problème sont utilisables par tous. On ne traitera pas de con celui qui ignore tout d’un sujet particulier, celui qui n’arrive pas à résoudre un problème mathématique complexe, ni une personne victime d’un accident, d’une maladie, ou autre, qui l’empêchent d’utiliser toutes ses capacités.
On est d’autant plus con qu’on a la capacité de ne pas l’être. Alors je traite l’autre de con parce qu’il devrait savoir, parce qu’il devrait faire. La connerie est impuissance, impossibilité, inertie, inaptitude de l’être à résoudre des problèmes de toute sorte en s’adaptant. Mais cela, insistons, relève de tout ce qui est considéré comme basique. Avec un peu de réflexion …
Le mot con marque ainsi une incapacité surprenante, un manque étonnant compte tenu de l’aptitude considérée comme commune. L’insulte qualifie celui à qui manque ce qui normalement ne doit pas manquer. ‘Normalement’ désigne ici ce qui est généralisé, commun, partagé, élémentaire. Mais le mot qualifie aussi une connaissance, un savoir-faire qui est légitimement attendu et qui fait défaut, comme on attend d’un médecin une certaine compétence. Mais ce qui frappe est la constance du manque. Un con, en effet, ne tire aucune conclusion de son échec et continue. Il persévère dans son comportement, de même que l’attitude dogmatique fixe l’individu dans une croyance constante qui le met complètement à l’écart des faits. La même attitude fait des ravages chez les technocrates qui appliquent ou mettent au point des règles inapplicables ou totalement imperméables aux situations concrètes. Et ils insistent. Il convient alors de savoir tirer des leçons de l’expérience afin de s’adapter au monde, afin d’adapter la théorie à la pratique, et inversement. Cette adaptation, cette ouverture différencient un con occasionnel et un con qui persiste. Cette persistance est la marque du dogmatisme qui, loin de tirer des leçons de la réalité, reste éperdument attaché à des principes, à une théorie que les faits contredisent manifestement. Il y a ici une impossibilité à rendre la théorie adéquate au réel. La certitude de détenir la vérité exclut toute possibilité d’infirmation, quand bien même celle-ci serait avérée.(...)
La connerie est une insistance établie que rien ne peut déstabiliser (...)
Un con a tendance à généraliser : il élargit son ego au reste du monde, pensant alors que chacun doit penser et agir comme lui. L’ego, mais aussi la culture propre, ou ego collectif. Le premier est l’affirmation de la « normalité » de sa propre éducation, de ses principes qui, « normaux », doivent nécessairement convenir à tous ; le second est une sorte de mégalomanie de sa propre culture que les autres peuples devraient adopter, ou devant laquelle il devrait « se courber » : chauvinisme, patriotisme et toutes les dérives qui s’ensuivent. Mais attention de ne pas confondre l’ego individuel dont il est question ici avec un ego hyper développé. Il ne s’agit nullement ici d’évoquer l’égocentrisme, mais l’ego « moyen », l’ego « normal », l’ego commun. Car il suffit qu’il y ait tout simplement ego pour qu’il recherche un moyen d’échapper à la reconnaissance et à la responsabilité de son erreur, de son illusion, de son échec. Alors c’est la quête de l’excuse, du motif, de la justification, et la plupart du temps en ne considérant pas le bon sens élémentaire. Alors l’ego peut finir dans l’échappatoire la plus ridicule et ainsi dans la connerie : j’ai perdu, oui mais j’avais mal dormi, j’avais mal mangé, j’avais le soleil dans les yeux, et l’autre avait triché, certainement, et j’avais mal à l’orteil, etc. Nous sommes tous plus ou moins dans ce cas. Pour éviter ici d’être con, il faut garder sa vigilance, sa lucidité, sa modestie en ne perdant pas de vue le réel. L’ego se justifie en effet par une désarticulation entre ses propos et les faits, entre ses propos et la vraisemblance.
L’ego, trop fort, finit dans la psychorigidité. Têtu, il ne bouge pas d’un iota. Mais parfois le nombril est trop petit, alors un con, loin d’être enraciné, flotte aux quatre vents, il change sans cesse d’avis, prêt à suivre les propos du premier beau parleur venu. C’est alors sans doute dans les extrêmes que l’on trouve le plus de cons.
Q'u’il s’agisse du gros con qui manque de psychologie élémentaire et de moralité dans ses relations avec les autres ; qu’il s’agisse du petit con suffisant qui méprise l’expérience et ce qu’il considère comme « has been », etc., on constate que la connerie est toujours un écart par rapport au réel, à ce qui convient, à ce qui est juste, précis, en relation avec les choses écart qui ne devrait pas être dans la mesure où il est légitimement supposé que la personne a tous les moyens de ne pas être conne. La connerie est une inadéquation constante, têtue et surprenante qui sépare l’homme de lui-même, des autres et du monde. Elle est ainsi liée à la psychologie, à la morale, à la rationalité, à l’expérience. Si la connerie est un manque, elle est ce vide, ce déséquilibre qui sont une carence de l’intelligence. C’est dans la mesure où l’on est capable d’intelligence qu’on peut être con. Notre comportement, notre relation au monde est toujours menacée par la connerie précisément parce que le monde dans lequel nous vivons exige une adaptation. L’intelligence demeure alors en danger, en recherche perpétuelle pour maintenir un équilibre qui n’est pas donné a priori. Toute intelligence est risque, et tout risque est celui de la connerie.
Mais ne perdons pas de vue que la raison, que la pensée n’est pas l’expression spontanée du comportement humain. Elle est construite, édifiée, et cela prend du temps, nécessite de l’éducation, un apprentissage et ainsi un effort. Nous ne sommes pas immédiatement portés à analyser, à peser, à réfléchir. Nous sommes bien plus enclins à suivre nos croyances, nos désirs, nos aspirations, nos espoirs, à entretenir les illusions, à suivre la facilité. La crédulité est première. Le doute second. Un con, d’ailleurs, ne doute jamais. Là est aussi le terreau de la connerie. Ce n’est pas alors la connerie qui devrait nous étonner, mais l’intelligence, car la première est facile, immédiate, alors que la seconde est difficile et lente. Toute l’éducation, toute la culture ont précisément pour objet de lui faire prendre le dessus alors qu’elle est dessous (...)
La connerie consiste à mépriser l’autre, à l’ignorer, à le déconsidérer. Elle consiste en un jugement et un comportement réducteurs, rigides, qui tronquent l’homme et le monde en identifiant la totalité du réel à l’un de ses éléments, jugement définitif, immobile, rigide, auquel s’ajoutent la suffisance, la vanité, l’immodestie. Elle consiste en une opinion banale, ordinaire et qui est considérée comme originale. La connerie consiste à porter un jugement définitif sur les choses, sûr de lui-même. C’est précisément parce que ce genre de fixité rassure, tranquillise par les bornes qui sont aussi des repères, que la connerie est toujours constamment là. La connerie consiste à « sauver son ego », « sauver sa culture », « sauver son intelligence », sauvetage qui est capable des pires absurdités et qui fait appel à la raison pour garantir sa position, mais qui l’utilise mal.