Et d'autre part, l'écriture a donné aux fictions une stabilité et une permanence que ne pouvaient avoir les fictions orales, transmises de père en fils et de génération en génération, de peuple à peuple et de culture à culture, qui, comme le montrent toutes les compilations qu'on a faites de ces récits, légendes et gestes conservés par la tradition orale au fil des ans, se diversifient et se transforment au point de ne plus paraître provenir d'un tronc commun ni garder de parenté entre elles.
Mais, sans tenir compte des variantes formelles et de la métamorphose à laquelle est inévitablement soumise la littérature orale, il y a indubitablement une ligne de continuité entre celle-ci et la littérature écrite, entre la fiction racontée et écoutée et celle qu'on lit, du moins en ce que toutes deux représentent à l'origine et dans leur dessein : un mouvement mental du fragile être humain pour sortir de la cage où se déroule sa vie et atteindre une liberté et une initiative qui le font échapper à l'espace et au temps, étendent et approfondissent ses expériences en lui faisant vivre, comme par magie, d'autres actions, aventures, passions, et lui permettent de s'emparer de la variété de destins, même les plus extravagants et périlleux, que les fictions bien conçues et racontées - les fictions persuasives -, entendues ou lues, incorporent à sa vie.