...formidable pouvoir de déformation et de grossissement qui est un élément essentiel de notre art. Rien de ce qu'éprouvent nos héros n'est à l'échelle de ce que nous ressentons nous- mêmes (...) l'art du romancier est une loupe, une lentille assez puissante (...) D'un mouvement d'humeur, la puissance d'amplification du romancier tire une passion furieuse. Et non seulement il amplifie démesurément, et de presque rien fait un monstre, mais il isole, il détache tels sentiments qui en nous sont encadrés, enveloppés, adoucis, combattus par une foule d'autres sentiments contraires. Et c'est encore par là encore que nos personnages, non seulement ne nous représentent pas, mais nous trahissent, car le romancier, en même temps qu'il amplifie, simplifie. C'est une telle tentation et à laquelle il résiste si mal que de ramener son héros à une seule passion. Il sait que le critique le louera d'avoir ainsi créé un type. Et c'est tellement ce qui lui paraît le plus facile ! Ainsi, grâce à ce double pouvoir d'amplifier formidablement dans ses créatures tels caractères à peine indiqués dans son propre cœur et après les avoir amplifiés, de les isoler, de les mettre à part, répétons encore une fois que, bien loin d'être représenté par ses personnages, le romancier est presque toujours trahi par eux. |