Nous sommes tous gens du voyage. Et ce voyage est la vie. Nous traversons l'un après l'autre les pays où les perspectives et les aventures ne se comparent pas entre elles, où change jusqu'à la perception que nous avons des êtres, des choses, du temps et de l'espace. Ces pays ont leurs villes, leurs campagnes, leurs monts et leurs mers - et les cols vertigineux qui les séparent en font des territoires autonomes dont l'exploration successive constitue l'existence humaine. Cette traversée, nous ne l'effectuons pas seuls, mais, bon gré mal gré, avec la caravane de la génération avec laquelle nous nous sommes mis en marche et dont les rangs iront s'éclaircissant jusqu'au terme. Tantôt pleine d'ardeur, elle nous porte de son élan; tantôt rétive et incertaine, elle nous grève de son anxiété. (...) Certains épisodes du périple créent une illusion passagère de sédentarité. Pour un pays que nous quittons pleins d'impatience, il en est d'autres où nous eussions aimé nous attarder - et où l'arrêt d'expulsion lorsqu'il nous atteint nous met au désespoir. Le tragique aussi fait partie du viatique. Et quiconque tente de l'esquiver en fixe la brûlure. Une révélation guette celui qui avance le cœur et les yeux ouverts - sans précipitation et tant qu'il se peut sans regret. Après s'être vu dépouillé en chemin de ce qu'il avait un temps possédé, le voilà bientôt, à sa grande surprise, comblé d'autres biens dont il ne soupçonnait jusqu'alors, ni l'existence ni le prix. Il apprend - et sa reconnaissance alors n'a pas de bornes - que rien ne lui est ôté en cours d'existence, sans qu'autre chose d'aussi précieux ne lui soit donné en contrepartie. Celui qui n'a pas reconnu que la vie est incessante métamorphose n'aura pas sa part du miracle. Etranger, tant au pays qu'il traverse qu'à celui qu'il convoite, il se verra, tout comme la femme de Loth qui rechignait aussi à avancer, transformé en statue de sel. |