L'homme de lettres sans principes ou sans art et l'empoisonneur sont identiques. Or, presque tous les gens de lettres sont dans une indigence absolue d'art et de principes. Il leur est donc tout à fait égal d'être vrais ou de ne l'être pas, d'écrire avec éloquence ou de paraître simplement idiots. Il est même ridicule de salir du papier pour affirmer une chose si généralement reconnue. Seulement, ces messieurs n'aiment pas qu'on la leur dise. Donc, le plus pressant de tous les besoins du cœur, c'est à dire le besoin d'être désagréable aux imbéciles et aux scélérats, exige qu'on la leur dise. Mais comment et dans quelle forme ? -Dans la forme la plus insupportable pour eux qu'il pourra possible de rencontrer. Lord Byron, dans son Childe Harold, déplore son impuissance. Il voudrait que tout son mépris, toutes ses colères, toutes ses douleurs, pussent tenir dans un seul mot qui serait la foudre, afin de prononcer ce mot. Voilà l'idéal. Le réel, c'est de savourer des épithètes homicides, des métaphores assommantes, des incidentes à couper et triangulaires. Il faut inventer des catachrèses qui empalent, des métonymies qui grillent les pieds, des synecdoques qui arrachent les ongles, des ironies qui déchirent les sinuosités du râble, des litotes qui écorchent vif, des périphrases qui émasculent et des hyperboles de plomb fondu. Surtout il ne faut pas que la mort soit douce. |