Celui qui a renoncé à tout ce qui est hors de lui comme à tout ce qui est en lui, — qui, partant, ne sait plus distinguer le monde-hors-de-nous du monde intérieur, n’en restera pas là. Il y a dans la Révolte, telle que nous la concevons, un besoin de tout l’être, profond, tout-puissant, pour ainsi dire organique (nous la verrons devenir une force de la nature) une puissance de succion qui cherchera toujours, poulpe de famine, quelque chose à avaler.
Quelles sont la nature et la forme de cette marche de l’esprit vers sa libération ? La révolte de l’individu contre lui-même, par le moyen de toute une hygiène d’extase particulière (habitude des poisons, auto-hypnotisme, paralysie des centres nerveux, troubles vasculaires, syphilis, dédifférentiation des sens et toutes les manœuvres qu’un esprit superficiel mettrait sur le compte d’un simple goût de destruction) lui a donné la première leçon. Il s’est aperçu que l’apparente cohérence du monde extérieur, — celle-là même qui devrait, paraît-il, le différencier du monde des rêves, — s’effondre au moindre choc.
Cette cohérence n’est vérifiable que par les sens ; or elle varie avec l’état de ces sens, elle est uniquement fonction de lui-même et tout se passe comme s’il la projetait du fond de sa conscience au dehors. À peine masque-t-elle habituellement l’effroyable chaos dont les ténèbres ne s’illuminent que de miracles. Par « miracles » nous entendons ces instants où notre âme pressent la réalité dernière et sa communion finale en elle. Plus de séparations entre l’intérieur et l’extérieur : rien qu’illusions, apparences, jeux de glace, reflets réciproques. Premier pas vers l’unité, mais pour retrouver en lui le même chaos qui nous entoure.
Que peut être une progression spirituelle dans ce magma sans espace et sans durée ? Comment imaginer différent de l’immobilité l’élan de l’âme révoltée, ce mouvement dépourvu de sens, de vitesse et de direction que l’on voudrait figurer là-dedans ? Tout ce qu’on peut en comprendre c’est qu’il revient constamment sur ses pas. Autrement dit, tout est toujours à recommencer.