Un essaim d'éphémères tomba en volant sur une forteresse, se posa sur les bastions, prit d'assaut le donjon, envahit le chemin de ronde et les grosses tours. Les nervures des ailes transparentes planaient entre les murailles de pierre. "En vain vous vous efforcez de tendre vos membres filiformes", dit la forteresse. "Seul ce qui est fait pour durer peut prétendre être. Je dure, donc je suis; vous, non." "Nous habitons l'espace de l'air, nous scandons le temps en faisant vibrer nos ailes. Que signifie d'autre : être ?" répondirent ces créatures fragiles. "C'est toi, plutôt, qui n'es qu'une forme placée là pour marquer les limites de l'espace et du temps dans lequel nous sommes." "Le temps coule sur moi: je reste", insistait la forteresse. "Vous n'effleurez que la surface du devenir comme celle de l'eau des ruisseaux." Et les éphémères: "Nous dansons dans le vide comme l'écriture sur la feuille blanche et les notes de la flûte dans le silence. Sans nous, il ne reste que le vide omnipotent et omniprésent, si lourd qu'il écrase le monde, le vide dont le pouvoir anéantissant se revêt de forteresses compactes, le vide- plein qui ne peut être dissous que par ce qui est léger, rapide et subtil." |