Que reste-t-il de l'âme des races redoutées? Des moues dubitatives, une patience inusitée, des envies de fauconnerie, l'expérience des bornes. Les forts guerriers viscéraux, foudroyés une première fois par un deuil, la mort du chef, ont appris de siècle en siècle à découvrir une dimension qui leur est inconnue : la lenteur. Aujourd'hui, le Mongol est vaincu par l'accélération du prétendu progrès. Pour les pulsions vitales, c'est un autre ralentissement, à petit feu. Rien ne sera plus jamais pareil pour ces corps longtemps irrésistibles. Dans leur apaisement forcé, ils ont bien l'air de tourner en rond. Je ne sais si dans un recoin de leur mémoire, ils protègent une flamme, fût-elle vacillante. Un souvenir d'embrasement, la brûlure d'avoir été, dans la froidure de ne plus être. D'anciennes et fabuleuses énergies se traînent dans une misère domesticante. On ne fuse plus, ici, on marche, on clopine sur un sol cadastré. La rage au coeur, je l'espère, on s'abandonne à l'impotence ambiante: le matérialisme, qui plastronne, le Parti, qui organise, la ville, qui enferme, adieu somptuosité des sens. Une gare, c'est trop, dans ce décor construit pour un film avorté. Comme sont trop, à Oulan-Bator, le béton des casernes, la paperasse, et les machines à circonscrire les vertiges désirés. Et un gabelou, un notaire, c'est trop aussi, pour les appétits d'illimité. Revu et corrigé, corrigé d'importance par la rationalité le Mongol se case, malgré lui, le Mongol décroît.
Les racines de ces hommes, c'étaient l'immensité, la folie, le débordement. C'était d'être nés fils d'ici et d'ailleurs, ethniquement ancrés, et universellement mobiles, la vraie vie, en somme. Leur déracinement, c'est désormais de n'être que là où ils sont et comme ils sont : l'intendance de Moscou, la télé en prime. Ce qui fera trembler la terre, ce ne sera plus jamais une terreur charnelle, les tripes en bannière. Nous sommes entrés dans une ère de terreur cérébrale, et là où elle passera, un jour, ce ne sera pas l'herbe qui ne repoussera plus, mais l'espèce.