D'abord, pulvériser son nom, son masque. Ôter la carapace de carton et de plâtre, se démaquiller.
Les os sont à peine voilés, sous la fine pellicule dermique. Un raclement, le froissement de tôles d'une voiture, par exemple : l'enveloppe fragile éclate, et ce qui était contenu à l'intérieur coule, coule, emplit l'espace interdit.Voici la vérité. Non pas ce qui est vrai, non pas ce qui assemble des formes pour la gloire d'un nouveau nom, mais ce qui écarte douloureusement les deux rideaux gris du théâtre.
Derrière eux, la scène magique, derrière eux, et personne ne le savait, la scène de passion et de lumière. Elle resplendit, salle immense, tapissée de miroirs infinis. Salle où l'on n'entre pas. Cathédrale de verre et d'acier, sorte de navire géant qui vibre et s'enfonce dans la masse de l'eau. C'est ici. Ce lieu, je ne le toucherai pas. Je ne veux pas le toucher. Je veux le voir, simplement, comme d'un regard porté en arrière, car ce regard est le seul lieu entre ma fuite et la réalité.
A des milliers de kilomètres-heure, je m'éloigne de ce lieu inconnu. Je suis lancé telle une torpille vers un autre but aimanté qui bientôt me détruira. Et le spectacle de lumière de vie ne cesse pas de s'éloigner de moi, sans recours, vite, vite. Il recule, il disparaît dans le gouffre noir, puits de haine, entonnoir, il diminue, il s'en va, il me quitte, il n'existe plus.
Est-ce moi qui fuis ? Ou bien est-ce le monde qui se décompose sous mes pas, espèce de sable gluant qui referme sa bouche sur mes empreintes ?
Terre, je te fuis, c'est pour mieux te connaître. Penché vers toi, plaque aux gerçures sèches, quand le soleil est exactement à la verticale. Ici, là, des vallonnements, des failles, des gorges, des falaises escarpées. Çà, là, un arbre, une fougère, une herbe aux feuilles poussiéreuses. Et un caillou éclaté, un seul caillou éclaté qui dresse sa pointe vers le haut. Des signes, peut-être, des écritures, des calligrammes anciens gravés sur la croûte dure. Des rides, des pattes d'oie très finement marquées, des fêlures aussi, qui ont couru sur la fragile surface de verre. Des trous profonds que le vents a bouchés, mais dont le canal doit s'enfoncer loin à l'intérieur de la terre, jusqu'au centre bouillant peut-être.