En cinq ans on s'est mis à mourir de plus en plus jeune au hameau. Le premier avait trente-six ans, le deuxième trente et un, le troisième quarante-deux - celui-ci, c'est comme s'il avait fait sa vie - et, quand ses deux grands gars y sont passés aussi, pour clore la ribambelle, vingt-deux et vingt-cinq ans, les yeux sont restés secs. On s'est inquiété pour la mère, restée seule ou presque, anéantie, désormais sans mari, sans beau-frère, sans cousin et sans fils. On ne sait pas comment, elle a vécu jusqu'en 1966, c'est-à-dire plus longtemps veuve qu'épouse, et bien plus longtemps encore sans ses enfants qu'avec, d'une tenue sans pareille, en toute circonstance. Il faut croire qu'elle était au monde, qu'elle y est restée sans se laisser entraîner dans la chute, dans ce qui a coulé, à pic, avec ces cinq ans-là, avec ces cinq hommes-là. Pauvre et exigeant, un monde, le seul possible, et cette femme droite posée dessus et marchant vers sa fin sans la fuir ni l'appeler. Avec la terre à tenir, et les maisons, pour eux pulvérisés quand out restait à faire ici, mêlés aux noms d'Argonne, de Sambre et Meuse, de Somme qui ne résonnent pas mais s'étouffent et vieillissent, inexorablement, faire ce qu'ils auraient fait, ne rien attendre de personne. La mère que nul n'appelait jamais par son prénom, Florine, trop beau, trop gai, léger et fin pour une vie de peine et de silence.