Bientôt après qu'elle fut morte, on fit ma maison, et l'on me donna un équipage bien plus grand que n'en a jamais eu aucune fille de France, même pas une de mes tantes, les reines d'Espagne et d'Angleterre et la duchesse de Savoie, avant que d'être mariées. La reine, ma grand'mère, me donna pour gouvernante madame la marquise de Saint-Georges, de qui le mari étoit de la maison de Clermont d'Amboise ; elle étoit fille de madame la marquise de Montglat, qui avoit été gouvernant du feu roi, de Monsieur, de feu mon oncle le duc d'Orléans, et de toutes mes tantes ; et c'étoit une personne de beaucoup de vertu, d'esprit et de mérite, qui connoissoit parfaitement bien la cour. Elle avoit depuis été dame d'honneur de la reine d'Angleterre et de la duchesse de Savoie, et s'en étoit fait aimer si chèrement, que sa seule considération fit presque tout le déplaisir qu'elles eurent, lorsque les affaires de ce pays-là les obligèrent d'en chasser les François qu'elles y avoient menés. Ma mère accoucha au Louvre ; je fus logée aux Tuileries, qui y tiennent par la grande galerie, qui étoit le passage ordinaire par où on me portoit chez Leurs Majestés, et par où elles se donnoient aussi la peine assez souvent de me venir voir.
La reine, ma grand'mère, Marie de Médicis, m'aimoit extrêmement, et témoignoit, à ce que j'ai ouï dire, beaucoup plus de tendresse pour moi qu'elle n'avoit jamais fait pour ses propres enfants ; et comme Monsieur en avoit toujours été le plus chéri, cette considération, jointe à l'estime et à l'affection qu'elle avoit eues pour ma mère, fait qu'on ne doit pas s'étonner de l'amitié qu'elle avoit pour moi. Néanmoins j'ai malheureusement été privée d'en recevoir les effets par la disgrâce qui la fit sortir de France, parce que j'étois encore si jeune alors, que je ne me souviens pas seulement de l'avoir vue. Ce fut une perte qui me fut pas moins importante que celle que je fis à ma naissance, puisque je devois, selon toutes les apparences, rencontrer en cette grande reine ce que j'avais perdu par la mort de ma mère. Ce n'est pas que madame de Saint-Georges, ma gouvernante, ne possédât, pour se bien acquitter de cette charge, toutes les qualités qu'on sauroit souhaiter. Quoique la capacité, la bonne conduite et la naissance se trouvent souvent dans les personnes qu'on met à cette place, celles de ma condition craignent si rarement celles qui sont au-dessous d'elles, quelque jeunes qu'elles soient, qu'il est comme nécessaire qu'une autorité supérieure seconde les soins de ceux qui les gouvernent : ce qui me fait oser dire que, s'il paroît en moi quelques bonnes qualités, elles y sont naturelles, et que l'on n'en doit rien attribuer à l'éducation, quoique très-bonne ; car je n'ai jamais eu l'appréhension du moindre châtiment. Ajoutez à cela qu'il est très-ordinaire de voir les enfants que l'on respecte, et à qui l'on ne parle que de leur grande naissance et de leurs grands biens, prendre les sentiments d'une mauvaise gloire. J'avois si souvent à mes oreilles des gens qui ne me parlaient que de l'un et de l'autre, que je n'eus pas de peine à me le persuader, et je demeurai dans un esprit de vanité fort incommode, jusqu'à ce que la raison m'eût fait connoître qu'il est de la grandeur d'une princesse bien née de ne pas s'arrêter à celle dont dont l'on m'avoit si souvent et si longtemps flattée. La naïveté avec laquelle je veux parler de tout ce que je vais raconter, me fait remarquer ici un trait de mon enfance. Quand l'on me parloit de madame de Guise, ma grand-mère je disois : « Elle est ma grand'maman de loin ; elle n'est pas reine. »