Il me fallait la rue et l'action que promettent les livres. Les années se suivaient et je comptais les mois. Le soir, surtout, après avoir beaucoup lu, je regardais les cloques du plafond en imaginant l'instant de l'adieu. La porte qui claque et le tintement des vitres. L'enfance n'était plus aussi douce depuis que j'avais découvert mon étrange vocation. Un passe-temps d'abord. Une manière d'abolir les murs. J'avais trouvé dans l'écriture un moyen d'évasion. Les mots, je les maniais comme on tient une pioche mais il fallait ruser. Je devais effacer les traces de gravats et faire disparaître la poussière car on me surveillait. Mes parents m'apprenaient à courber l'échine. Chaque jour, ils m'enseignaient leurs leçons de savoir-vivre. En apparence, je ne les décevais pas. Mais dès qu'ils me tournaient le dos, je m'appliquais à faire la guerre. Ils me voyaient naïf et sage, ma tête était remplie de soufre. A leur insu, je m'armais de haches et de bombes. J'avais le goût de la démolition. |
La poignée remuait, des pas glissaient sur le parquet, je mâchonnais mon stylo au-dessus du cahier ouvert. J'avais caché dans le sous-main les feuilles compromettantes, un texte qui se jouait de tous les principes. Mon père ignorait qu'en me remettant chaque semaine le lot des volumes cochés dans les catalogues d'éditeurs, il me fournissait les outils dont j'avais besoin pour préparer ma désertion et le combat impitoyable contre la tyrannie.
Il ne savait pas que les libraires entreposent des poudres. Il voyait le livre comme un billet d'entrée dans la vie rampante. Se doutait-il qu'un assemblage de phrases pouvait servir à des tactiques et à des soulèvements ?