Dans la pièce suivante, de petites sauts s'égrenèrent, et les chocs du déplacement du lutrin anguleux vers le milieu de la pièce. Martincillo, le flûtiste, plaçait à onze heures du matin sur le pupitre: Leçon de petite flûte sans s'abîmer les lèvres. Il discutait jusqu'à l'égosillement sifflant sur le point de savoir si ç'avait été de la part du roi un acte avisé ou bien une faute de goût que de refuser de jouer de la flûte devant Jean-Sébastien Bach. Il n'avait pu discuter qu'avec deux ou trois seulement les ségrégations dialectiques de ses goûts, mais ceux-là seulement étaient ses amis. On l'appelait le flûtiste ou la nonne, car l'imagination du voisinage attribuait des sobriquets au niveau le plus bas des apparences. Ces blonds petits amis, d'un esprit plus ardemment ardu, le nommaient la marguerite du Tibet, car il couvrait d'une façade de bonté son désir philistin de coudoyer des écrivains et des artistes. Il avait une pâleur de vermine, il était long comme une asperge et se dandinait quand soufflait la brise sur les roseaux torses de ses petites entrailles. Il suçait une peau de fruit avec un faire-semblant de simplicité théosophique, puis conservait d'innombrables images photographiques de son ascèse. Mais ceux qui l'avaient vu manger sans la mise en scène théosophique s'étonnaient de la grande quantité d'aliments qu'il pouvait ingurgiter. Sa taille de lièvre longiforme en gardait une protubérance analogue au renflement d'un des anneaux du serpent quand il broie les os d'un chevreau. Lorsque, avec des pauses et en faisant les yeux blancs, il taillait la bavette avec un des écrivains qu'il voulait mettre dans sa poche, il vibrait hypocritement et lui prenait la main afin de lui fournir la preuve ou de lui indiquer le ton de sa sympathie pour les mœurs grecques. Si l'on acquiesçait à l'occasion, il disait : "je vous aime comme un frère." Mais s'il craignait que sa prise de main habituelle n'engendrât des commentaires et des refus, il posait à l'homme infiniment compréhensif et sans enracinement charnel. Mais il était mauvais et paresseux, et ses parents, qui le connaissaient exhaustivement, le fichaient à la porte. Il se réfugiait alors chez un sculpteur polynésien qui revenait tous les cinq mois pour vendre à un ménage américain, sempiternels mannequins participant à d'ennuyeux conciliabules, qui possédaient une étable sanitaire et ses dérivés de fumier chimique, des sculptures d'un surréalisme symbolique officieux que voilaient les variantes des colliers et pointes phalliques des tisseurs de Nouvelle-Guinée. Au cours de ces réunions, Martincillo, penchant ses mèches avec une innocence calculée, essayait de placer deux ou trois citations tirées par les cheveux; il rapportait l'affirmation de Plutarque comme quoi Alcibiade avait appris la harpe et non la flûte car il craignait de se déformer les lèvres, et que, pour cette raison, vengeance dictée par Apollon, adepte de l'instrument à sept trous, il avait rêvé la veille de sa mort qu'on le peignait avec un visage de femme. Martincillo était à tel point préraphaélite et efféminé qu'on aurait dit que ses citations elles-mêmes avaient les ongles peints. Il se trouvait une nuit chez le sculpteur, qui lui montait quelques bobines churingas, quand la pluie commença à tomber avec des éclairs tropicaux. Tout à coup le Polynésien, troublé par ses désirs, se mit à danser avec des convulsions et des spasmes, et ses cheveux se changèrent en une étoupe phosphorescente. Piqué peut-être par le souffle lointain d'un de ces éclairs, un lombric s'échappa de son corps qui vint telle une écharde se ficher dans la partie la plus molle du préraphaélite abstrait; au matin, Martincillo inguérissable, tentait d'extraire au moyen d'une pince un vers possessif.
Quant à l'autre logement, il avait l'air de trembler chaque fois que le frère épileptique de la quarantenaire Lupita entrait dans le cycle de dix-sept syncopes et absences dont il était quotidiennement victime. Il allait d'un coin de la pièce à son lit, redoutant d'avoir une défaillance, ou bien c'était devant le déjeuner que son roulis augmentait au point de le faire choir sur la nappe. Lupita allait,chaque quinzaine du mois lunaire, rendre visite à un Japonais à ramage qui possédait à Bejucal une boutique nommée Au triomphe de la pivoine. La Lupa, confrontée confrontée à l'intouchable sérénité du sensuel luniste, étendait une petite natte, sans provoquer le moindre bruit; le galant taoïste déclarait en effet " que le tintement du jade le dérangeait". Il s'étendait sur la natte, le front contre le froid carreau, tandis que Lupita, accroupie à côté de lui, lui passait un nombre incalculable de fois la main dans le dos. Le galant japonais donnais deux ou trois coups de tête contre le sol puis il vrillait un saut à la manière des lutteurs de judo. Et il en avait ainsi terminé avec le vénérable décroissement de cette quinzaine.