La tête baissée, l'émotion me submerge. Mes tantes nous ont amenées, Hindou et moi, dans l'appartement de notre père. A l'extérieur, l'effervescence de ce double mariage bat son plein. Les voitures se sont déjà garées. Les belles familles attendent, impatientes. Les enfants, excités par cet air de fête , crient et dansent autour des véhicules. Nos amies et nos sœurs cadettes, inconscientes de l'angoisse dans laquelle nous sommes, se tiennent à nos côtés. Elles nous envient, rêvant du jour où elles seront aussi les reines de la fête. Les griots, accompagnés de joueurs de luth et de tambourin, sont là. Ils chantent à tue-tête des louanges en l'honneur de la famille et des nouveaux gendres.
Mon père, lui, est assis sur son canapé favori. Il sirote tranquillement un verre de thé parfumé au clou de girofle. Hayatou et Oumarou, mes oncles, sont également présents, entourés de quelques amis proches. Ces hommes sont censés nous transmettre leurs derniers conseils, nous énumérer nos futurs devoirs d'épouses puis nous dire adieu - non sans nous avoir accordé leur bénédictions.
"Munyal, mes filles, car la patience est une vertu. Dieu aime les patientes, répète mon père, imperturbable. J'ai aujourd'hui achevé mon devoir de père envers vous. Je vous ai élevées, instruites, et je vous confie ce jour à des hommes responsables ! Vous êtes à présent de grandes filles - des femmes plutôt ! Vous êtes désormais mariées et devez respect et considération à vos époux." (...)
"Munyal, mes filles !" dit mon oncle Hayatou. Puis il marque une pause, se racle la gorge avant d'énumérer d'un ton grave :
"Respectez vos cinq prières quotidiennes.
"Lisez le Coran afin que votre descendance soit bénie.
"Craignez votre Dieu.
"Soyez soumise à votre époux.
"Épargnez vos esprits de la diversion.
"Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif.
"Soyez pour lui un champ et il sera votre pluie.
"Soyez pour lui un lit et il sera votre case.
"Ne boudez pas.
"Ne méprisez pas un cadeau, ne le rendez pas.
"Ne soyez pas colériques.
"Ne soyez pas bavardes.
"Ne soyez pas dispersées.
"Ne suppliez pas, ne réclamez rien.
"Soyez pudiques.
"Soyez reconnaissantes.
"Soyez patientes.
"Soyez discrètes.
"Valorisez-le afin qu'il vous honore.
"Respectez sa famille et soumettez-vous à elle afin qu'elle vous soutienne.
"Aidez votre époux.
"Préservez sa fortune.
"Préservez sa dignité.
"Préservez son appétit. Qu'il ne s'affame jamais à cause de votre paresse, de votre mauvaise humeur ou encore à cause de votre mauvaise cuisine.
"Epargnez sa vue, son ouïe, son odorat.
"Que jamais ses yeux ne soient confrontés à ce qui est sale dans votre nourriture ou dans votre maison.
"Que jamais ses oreilles n'entendent d'obscénités ou d'insultes provenant de votre bouche.
"Que jamais son nez ne sente ce qui pue dans votre corps ou dans votre maison, qu'il ne hume que parfum et encens."
Ses mots s'incrustent dans mon esprit. Je sens mon coeur se briser en réalisant que je suis en train de vivre mon cauchemar des jours précédents.
Jusqu'au dernier moment, naïvement, j'ai espéré un miracle qui m'épargne cette épreuve. Une rage impuissante et muette m'étrangle. Envie de tout casser, de crier, de hurler. (...)
"Que jamais vos parents ne sachent ce qui est désagréable dans votre foyer, gardez secrets vos conflits conjugaux, ne cultivez pas l'aversion entre vos deux familles car vous vous réconcilierez, alors que la haine que vous sèmerez perdurera", ajoute oncle Hayatou.
Après un silence, mon père reprend sur le même ton grave et autoritaire :
"A partir de maintenant, vous appartenez chacune à votre époux et lui devez une soumission totale, instaurée par Allah. Sans sa permission, vous n'avez pas le droit de sortir ni même celui d'accourir à mon chevet ! Ainsi, et à cette seule condition, vous serez des épouses accomplies !"