Déjà l'étoile du soir s'abaissait sur la mer; la nuit profonde, épaissie des nuages rousis par les effets du fourneau, annonçait que le moment était proche. Suivi des chefs ouvriers, Adoniram, à la clarté des torches, jetait un dernier coup d'oeil sur les préparatifs et courait çà et là. Sous le vaste appentis adossé à la fournaise, on entrevoyait les forgerons, coiffés de casque de cuir à larges ailes rabattues et vêtus de longues robes blanches à manches courtes, occupés à arracher de la gueule béante du four, à l'aide de longs crochets de fer, des masses pâteuses d'écume à demi vitrifiées, scories qu'ils entraînaient au loin; d'autres, juchés sur des échafaudages portés par de massives charpentes, lançaient, du sommet de l'édifice, des paniers de charbon dans le foyer, qui rugissait au souffle impétueux des appareils de ventilation. De tous côtés, des nuées de compagnons armés de pioches, de pieux, de pinces, erraient, projetant derrière eux de longues traînées d'ombre. Ils étaient presque nus : des ceintures d'étoffe rayée voilaient leurs flancs; leurs têtes étaient enveloppées de coiffes de laine et leurs jambes protégées par des armures de bois recouvert de lanières de cuir. Noircis par la poussière charbonneuse, ils paraissaient rouges aux reflets de la braise; on les voyait çà et là comme des démons ou des spectres. Une fanfare annonça l'arrivée de la cour : Soliman parut avec la reine de Saba, et fut reçu par Adoniram, qui le conduisit au trône improvisé pour ses nobles hôtes. L'artiste avait endossé un plastron de buffle; un tablier de laine blanche lui descendait jusqu'aux genoux; ses jambes nerveuses étaient garanties par des guêtres en peau de tigre, et son pied était nu, car il foulait impunément le métal rougi. "Vous m'apparaissez dans votre puissance, dit Balkis au roi des ouvriers, comme la divinité du feu. Si votre entreprise réussit, nul ne se pourra dire cette nuit plus grand que maître Adoniram!..." |