Baladier n'avait rien d'un adorable espiègle. C'était un chef taciturne et mou, un être banal et puissant qui présidait à la fermentation de nos adolescences comme un épouvantail champêtre à la germination du blé. Quand il ouvrait son parapluie sur le pas de la porte en levant vers le ciel un nez furtif, il apparaissait véritablement comme un symbole décourageant de la médiocrité terrestre et ce seul geste autorisait tous les désespoirs. En face de cet homme sans fantaisie qui niait l'imagination par sa seule présence, nous dissimulions nos âmes encombrantes sous des sourires sans sincérité. Nous étions pour la plupart fort occupés à nous jouer par devant nous-mêmes un rôle d'hommes faits qui n'eût provoqué chez Rétine qu'une incompréhension bien franche plus vexante qu'une ironie. D'ailleurs, n'étant pas complètement dupes de notre propre comédie, nous avions une conscience inquiète qui nous rendait sournois et méchants. Mais qui nous eût tendu la main dans notre misère orgueilleuse ? Nos maîtres ? Supposition ridicule : les adolescents ne peuvent pas compter sur les adultes. Les adultes arrondis par le temps, les adultes aux âmes vulgaires et à la logique impeccable, ont peur de tant de richesse et de scorie. Nos regards exigeants leur inspiraient de la gêne; nos bouches menteuses, du dégoût. Orgueilleux et vils à la fois, c'est en les méprisant que nous les prenions pour modèles.