Il y aurait ainsi deux types d'hommes. Il y aurait l'homme immobile des longs voyages d'affaires. Il a une place dans le monde. Il travaille à ne faire qu'un avec cette place. Il en extrait les matières froides, les langues mortes. La raison, l'ambition, la puissance. Il est aussi à l'aise dans l'industrie que dans la morale, dans ses amours que dans ses comptes. Il éteint toutes différences dans sa langue. Il peut répandre partout cette maladie qu'il est à lui- même. Il peut être partout car il est de tout temps. L'homme d'affaires n'est que le dernier avatar, le plus récent, de l'homme livide. L'homme livide c'est l'homme social, c'est l'homme utile, persuadé de son utilité. C'est l'homme de la plus faible identité - celle de maintenir les choses en état, celle du mensonge éternel de vivre en société. Et puis il y aurait un autre type d'homme. Inutile, celui- là. Merveilleusement inutile. Ce n'est pas lui qui invente la brouette, les cartes bancaires ou les bas nylon. Il n'invente jamais rien. Il n'ajoute ni n'enlève rien au monde : il le quitte. Il s'en découvre quitté, c'est pareil. On l'aperçoit ici ou là. Il pousse devant lui le troupeau de ses pensées. Il rêve dans toutes les langues. De loin, visible. Il est comme ces gens du désert, ces hommes bleus. Il est comme ces gens aux chairs teintées du tissu qui les garde du soleil. Il a le cœur perclus de bleu. On l'aperçoit ici ou là, dans les révoltes qu'il inspire, dans les flammes qui le mangent. Dans les livres qu'il écrit. C'est pour le voir que vous lisez. C'est pour les heures nomades, pour la brise d'une phrase sous les tentures de l'encre. Vous allez de livre en livre, de campement en campement. La lecture, c'est sans fin. C'est comme l'amour, c'est comme l'espoir, c'est sans espoir. |