Franz parvint à un coin de rue plausible. Après beaucoup d'agitation et de louchements,il découvrit la tache rouge de l'arrêt d'autobus qui ondulait et oscillait comme font les supports de l'établissement de bains quand vous plongez au-dessous. Presque immédiatement, le mirage jaune d'un autobus se matérialisa. Marchant sur un pied qui, tout aussitôt fut dissous comme se dissolvaient toutes choses, Franz empoigna la main courante, et une voix - évidemment celle du contrôleur - aboya à son oreille "En haut !" C'était la première fois qu'il gravissait ce genre d'escalier en spirale (sa ville natale n'était desservie que par quelques vieux tramways) et, quand l'autobus démarra avec une brusque secousse, il eut l'effrayante vision fugitive de l'asphalte se soulevant comme une muraille argentée; il s'agrippa à une épaule et, entraîné par la force d'un virage inexorable durant lequel le bus tout entier sembla faire la culbute, monta en trombe les dernières marches et se retrouva sur l'impériale. Il s'assit et regarda autour de lui avec une indignation impuissante. Il flottait très haut au-dessus de la ville. Au-dessous de lui, les gens, en un glissement flasque de méduses, se mettaient à traverser la rue chaque fois que la circulation se figeait. Puis le bus repartait et les maisons, ombre bleue d'un côté de la rue, brume ensoleillée de l'autre, fuyaient comme des nuages qui se seraient imperceptiblement confondus dans le ciel tendre. Ce fut ainsi que Franz vit d'abord la ville : toute en tonalités chimériques, aérienne, inondée de couleurs molles...