WE SPEAK ENGLISH précise parfois une pancarte. C'est à dire qu'ailleurs on ne parle qu'espagnol.
"Tu sens, July?
- Quoi?
-La chaleur, les odeurs, les couleurs...Regarde ce paysan de Camaguey. Et la mulâtresse, là-bas, dans sa robe jaune canari collée à son gros cul, avec ses rouleaux sur la tête. Incroyable ! Ici les filles se passent un fer à repasser chaud sur le crâne pour lisser la laine crépue de leurs cheveux et mettent ensuite de gros bigoudis pour les faire onduler. Les Cubaines...le surréalisme à l'état pur! Tu entends les chancletas qu'elle porte aux pieds, ce petit claquement sec et caractéristique sur le pavé ? Comme à La Havane, place de la Cathédrale, le chant des chancletas! Ici, à Miami! Et tu veux te priver de tout ça,July! Mais respire un peu l'air de ces rues : l'arôme du café qu'on est en train de moudre, les odeurs de fruits mûrs qui s'écroulent sur les étals. Mangues juteuses, papayes aux chairs éclatées, pulpe de pamplemousse rose, exhalaisons d'ananas pourrissants et pépites pourpres des grenades ouvertes. Pourrais-tu te passer de nos kiosques à boissons avec leurs granitas acidulées, du rhum blanc et de la menthe fraîche, du jus de la canne à sucre épais, doré et savoureux ? Chez nous soleil, sexe et sueur font bon ménage. Et les épices, July ? Ne me dis pas que c'est à Boston, à New-York ou à Cincinnati que tu pourrais te payer ce carnaval pour les narines et pour les yeux! Leurs épiceries ne connaissent que les poudres défraîchies dans les tiroirs et les bocaux. Ici à Miami,comme à Cuba, les épices conservent toute leur vitalité...Leurs forces secrètes rayonnent et s'épanouissent sous les effets de la chaleur et de l'humidité. Tamarin, gousses d'ail et piments oiseaux, origan, noix de coco et de cajou, poivre vert et girofle, cannelle, sucre roux, cardamone et muscade, ah, comme ils sont puissants, enivrants! Un orgasme permanent! Le souffle du diable, July! Ici les parfums et les odeurs vous collent à la peau, et tu prétends pouvoir te passer de tout ça ?"