Jusque- là, sur le chemin de la vie, nous les hommes, mâchoires serrées, muscles bandés, nous avions encaissé des coups sans broncher ni verser une larme. Cette fois- ci, nous étions atteints à un endroit insoupçonné. A la pointe du cœur sans doute, ce quelque chose qui saigne continûment, sans la moindre pause, le jour, la nuit, comme si notre corps ne devait plus connaître de repos que vidé de son sang. Nous ne disions mot mais, nous le savions, ce qui échouaient en nous n'était autre que le chagrin d'amour (...) Dans notre existence menée à la dure, le "chagrin d'amour" était banni de notre vocabulaire. Il signifiait pour nous "faiblesse de femmelette". Nous cultivions le compagnonnage viril, le rire tonitruant, l'alcool qui brûle les boyaux comme une coulée de lave. Voilà que la nostalgie nous empoignait jusqu'au tréfonds, nous laissant désarmés. Nous fallait- il en passer par là ? N'y avait- il pas une voie initiée par le féminin, que nous avions traitée de haut, mais qui serait aussi royale ? |