"Actionne la bobine ! Allez, bobine-moi ce cerf-volant, s'il te plaît !"
J'étais si empotée que je fis une fausse manoeuvre, ce qui brisa net la corde du cerf-volant. La marmaille en fut survoltée :"Cerf-volant, reviens ! Ohé, cerf-volant !" s'écria-t-elle.
Mais cerf-volant ne dévira jamais de sa route. Il se perdit telle une fleur de lumière sous les coups de harpon du soleil. Son propriétaire fut saisi par une colère sans nom. Arrachant le restant de corde d'entre mes doigts, il me hurla:
"Ma langue n'est pas sûrement aussi prophétique que celle du cabri, mais sache que ta vie sea exactement pareille à celle du cerf-volant que tu viens de perdre !"
Je lui ris au nez avant de m'enfuir chez ma mère, insoucieuse de ses menaces puisque mon arbre était toujours là et qu'il demeurait le centre de mon existence. J'avais appris, au fur et à mesure, à reconnaître ses plus ténus remuements que j'interprétais à haute voix. Quand je commettais quelque erreur, ses petites fleurs blanches prenaient un goût amer sur ma langue et me brûlaient la gorge. J'ai toujours espéré qu'un jour ou l'autre, il me poserait une question mais il ne faisait que m'écouter. Cette attitude m'irritait si fort qu'une nuit où la lune était claire,je rampai sur le plancher, ouvris la porte de la case, sortis au-dehors et avançai dans le jardin, heurtant des souches d'arbres tandis que des lianes me lacéraient la figure. Je n'étais habité e que par une seule et même idée : avancer et toujours avancer. Bien que je fusse très effrayée à la perspective de rencontrer un zombi, mes yeux cherchaient à déceler mon arbre dans l'obscurité maléfique, insensible à toute autre chose. Des lucioles jouaient à la poursuite au-devant de mes pas. Des grillons cognaient sur la peau de tambour de la nuit. Et enfin, je découvris mon arbre en train de se dévêtir de ses vieilles leurs et d'en fabriquer de nouvelles, tout cela dans une sorte de roulis qui semblait hypnotiser les autres arbres qui l'entouraient. On aurait dit que le corossolier et les deux pieds de pois-doux, qui étaient les plus proches de lui, avaient cessé irrémédiablement de vivre, comme si le fil de leur coeur s'était distendu.
J'observai cette métamorphose très longuement, puis la lune disparut avec brusquerie derrière les nuages et mon arbre me demanda:
"Qu'es-tu venue chercher ici, jeune fille? Ma vie ne te suffit pas, il faut en plus que tu t'abreuves de ma mort. Tu es aussi insatiable que la mer ou quoi ?
-Par...pardon. Je vous demande pardon. C'est que j'ai un secret à vous confier...
-Un secret ? répondit l'arbre d'un air ahuri. Si tu me le révèles, ce ne sera plus un secret, tu le sais bien. Mes racines plongent jusqu'au giron de la terre et rejoignent celles des autres arbres et nous ne faisons qu'une seule pensée. Il ne m'est pas possible de garder ton secret, ma fille."
Je me suis donc agenouillée au pied de mon arbre, j'ai collé ma tête contre son écorce et me suis mise à pleurer à chaudes larmes. J'ai pleuré toute l'eau de mon corps. Quand je m'aperçus que j'allais être surprise par le devant-jour car des coqs s'étaient déjà mis à cocoriquer, je lui murmurai:
"Arbre ! Arbre, si tu m'aimes vraiment, tu te dois d'écouter mon secret. Le voici :..."