Laquelle s'endort un peu, se met à rêver, et ça a l'air compliqué,comme souvent les rêves. Les lignes se tordent, les espaces s'amalgament, on change de lieu en un claquement de doigts, une personne se métamorphose en une autre, on évolue dans un genre de chaos. Et elle tente de se débrouiller dans tout ça, ou du moins la personne qu'elle est dans son rêve, ce moi indécis qu'elle promène, ce point de vue, ce sac de peurs et de désirs, vous savez comme c'est.
On somnole contre son épaule. Quand on rouvre les yeux, dehors ce sont toujours, en des proportions seulement variables, peupliers, habitations, fils électriques, conifères, et parfois un saule, tout plaintif comme ça, tout avachi, dolent et pleurnichard. Et la souveraineté du vert, qui ondule en voluptueux vallons (la campagne, quoi).
Des sous-bois, où gigotent d'invisibles bestioles, où se trament des milliers de conflits minuscules, de combats et dévorations, et dont les arbres serrés masquent presque tout sous leur gribouillis de branchages. On a engrillagé les talus sur les bords de la voie, et toutes sortes de bouts de bois jetés là par les tempêtes récentes gisent en désordre sous les mailles du grillage alvéolé.
Des terrains de hand, dont les filets ont été décrochés des buts, une grande usine abandonnée, taguée comme à la va-comme-je-te-pousse, aux vitres explosées, des champs encore, des serres à l'arrache (quelques arceaux et des bâches), un village, un réseau de routes, un camion de dos, qui va vers quoi. Tout ça continue à défiler (oh, ces prodigieux travellings que le réel vous offre), le paysage derrière la vitre se donne en format cinéma.
Et puis, avant les villes de banlieue bientôt scindées par le train, avant les pavillons de pierre meulière et seuils à auvent, avant les jardinets où noircit parfois un parasol humide puis les barres d'immeubles dont le train passe si près qu'on aperçoit clairement un drap qui sèche à une fenêtre, un sac plastique renfermant quelques denrées alimentaires qui prennent le frais sur le rebord, quand ce n'est pas l'intérieur des chambres, avec parfois une silhouette assise, enfoncée dans ses pensées, comme sur une toile de Hopper; avant tout ça, des près encore, vides, un pommier tout seul qui se détache contre le ciel, comme s'il était le dernier des arbres.