Et comme il se trouve que ce chapitre est un peu court, je profiterai de l'espace restant pour aborder un sujet qui préoccupera sans doute le lecteur arrivé à ce point : à savoir comment je m'appelle. C'est vrai que le thème mérite quelques explications. Quand je suis né, ma mère, qui ne se permettait pas d'autres frivolités par crainte de mon père, commettait, comme toutes les mères de son temps, le péché véniel d'aimer éperdument et inutilement, on s'en doute, Clark Gable. Le jour de mon baptême, ignorante comme elle l'était, elle insista au cours de la cérémonie sur le fait que je devais m'appeler Autantenemportelevent, une suggestion qui indigna non sans raison le curé qui accomplissait les rites. La discussion dégénéra en bagarre, et ma marraine, qui avait besoin de ses deux bras pour cogner sur son mari, avec qui elle en venait aux mains chaque jour, me laissa flotter dans la cuve baptismale, dans les eaux de laquelle je me serais sûrement noyé si...Mais ça, c'est déjà une autre histoire qui nous détournerait du chemin narratif que nous suivons. De toute façon, le problème manque de substance puisque mon nom véritable et complet n'apparaît que sur les infaillibles archives de la Sûreté. Dans la vie quotidienne, on m'a communément surnommé "la saucisse", 'le rat", "merde", "crotte de ton père" et autres épithètes qui, par la variété et l'abondance, démontrent et ce qu'il y a d'incommensurable dans l'inventivité humaine et le trésor inépuisable de notre langue. |