Personne n’avait vu clair dans cette âme. Elle-même s’ignorait. Obsédée par le cruel souvenir auquel elle rattachait tous ses malheurs, elle ne pouvait débrouiller avec netteté ce qui s’agitait confusément dans le secret de son être, ni ce qui, depuis son enfance, s’y était amassé d’ardeurs vagues, d’aspirations prisonnières, de rêves captifs. Elle était pareille au jeune oiseau qui, sans rien démêler à l’obscur et nostalgique besoin qui le pousse vers les grands cieux, dont il ne se souvient pas, se meurtrit la tête et se casse les ailes aux barreaux de la cage. Au lieu d’aspirer à la mort, comme elle le croyait, comme l’oiseau qui a faim du ciel inconnu, son âme, à elle, avait faim de la vie, de la vie rayonnante de tendresse, gonflée d’amour, et, comme l’oiseau, elle mourait de cette faim inassouvie. Enfant, elle s’était donnée, avec toute l’exagération de sa nature passionnée, à l’amour des choses et des bêtes ; jeune fille, elle s’était livrée, avec emportement, à l’amour des rêves impossibles ; mais ni les choses ne lui furent un apaisement, ni les rêves ne prirent une forme consolante et précise. Autour d’elle, personne pour la guider, personne pour redresser ce jeune cerveau, déjà ébranlé par des secousses intérieures ; personne pour ouvrir aux salutaires réalités la porte de ce cœur, déjà gardée par les chimères aux yeux vides ; personne en qui verser le trop-plein des pensées, des tendresses, des désirs qui, ne trouvant pas d’issue à leur expansion, s’amoncelaient, bouillonnaient, prêts à faire éclater l’enveloppe fragile, mal défendue par des nerfs trop bandés. |