Il y eut un silence.
-Et puis, on ne meurt qu'une fois ! ajouta le jeune homme avec insouciance.
-Vous croyez ? dit le prince. A votre âge les mots n'ont qu'un sens vague, et plus tard, lorsqu'on en voit la profondeur, le cœur se serre de stupeur et de dégoût. Vous ignorez les froides et cruelles bassesses, les trahisons envenimées et leurs milliers de complications aboutissant à l'ennui quotidien; les amitiés envieuses, haineuses et souriantes; les trames perfides où l'on perd l'amour et la foi, souvent l'honneur et la dignité, sans qu'on sache pourquoi ni comment cela se fait. Ah! vous êtes heureux ! Laissez aux passions le temps de venir, et vous comprendrez. Vous croyez, vous dont le cœur s'épanouit de bienveillance et de bonté, vous pensez qu'on va s'intéresser à vous ? Dans le monde, on ne s'intéresse qu'à ceux que l'on redoute, et vous trouverez, sous les dehors les plus attrayants, l'indifférence et la méchanceté. Songez que vous allez nuire à beaucoup de personnes, par cela même que vous êtes riche, que vous êtes jeune, que vous êtes noble, c'est-à-dire par toutes les qualités qui semblent devoir vous faire aimer. Au lieu de soleil, nous avons des lustres; au lieu de visages, des masques; au lieu de sentiments, des sensations. Vous vous attendez à des hommes, à des femmes, à des gens ? Ceux qui nient les spectres ne connaissent pas le monde. Mais passons. Vous êtes d'étoffe à résister; cela suffit.