En plusieurs endroits il avait déchiré les tentures pour surveiller les murs. Dès que le jour entrait dans la maison, il inspectait chaque pièce, courant de l'une à l'autre au moindre craquement. Rien, apparemment, n'avait changé. Pourtant, il trouvait des fissures, des écailles infimes, des moisissures et jamais il n'était certain de les avoir vues la veille. Il marchait avec précaution en s'efforçant de ne pas faire bouger les lustres. Certains pans de murs ne montraient que son égarement et peut-être que derrière ils s'enfuyaient déjà : il ne pouvait pas desceller les miroirs. Il posait les mains sur de grandes surfaces qui avaient été blanches. Ces surfaces étaient froides. Il y découvrait, çà et là des nuances grises, vertes, dont la tâche paraissait croître de jour en jour. Encore, d'autres endroits étaient moins lisses, moins sûrs, d'un contrôle beaucoup plus difficile. Il avait entassé les meubles au centre de chaque pièce, mais il restait les coins, les placards qu'il avait vidés et dont il gardait les portes entrebâillées. Certaines cicatrices des murs, aussi, semblaient vouloir se rouvrir. Et là où les parquets ne touchaient pas les plinthes, dans l'interstice, apparaissaient des petits morceaux de plâtre ou de terre sèche qui l'inquiétaient plus que tout. Avec un fil de fer, il les tirait à lui, les écrasait, les balayait. Il en venait d'autres. Durant trente ans il avait vécu au milieu des meubles qu'il montait, descendait, remontait et sur lesquels se posaient des lampes sans flamme ou des vases à fleurs dépolies. Jamais il ne s'était occupé de la solidité des murs. Soudain, il se rendait compte de quelle lente dégradation quotidienne était faite cette longévité. En quelques jours des rues entières avaient disparu, faute d'une pierre pour porter leur nom. Quand il sortait il cherchait des yeux certains immeubles et ne trouvait à leur place qu'une fosse, en contrebas de la rue, dans laquelle des engins à chenilles tournaient pour écraser les derniers débris. Au début il avait pensé qu'il s'agirait seulement des plus vétustes constructions, de celles qui penchaient et que des poteaux enfoncés dans leurs plaies au-dessus des rues empêchaient de se rapprocher ou qui de leurs béquilles s'appuyaient au pavé comme de très anciens navires sur cales. Il ne s'absentait pas longtemps, il lui fallait tenir les murs entre ses bras, les forcer par son regard à la rigidité. Et cacher leurs faiblesses. |