Je ne l'ai pas perdu des yeux. Je l'ai suivi sans cesse. Essayant toujours de me rapprocher sans savoir si c'était pour le tuer ou pour l'embrasser. L'important était de l'atteindre. Lorsque je l'aurai rattrapé, tué ou ramené au monde, tout cela cessera. J'en suis sûr. Je ne l'ai pas perdu des yeux mais soudain, à deux cents mètres, un obus a explosé. C'était une grande pluie qui commençait. Les premières gouttes d'un orage d'été. Les premières gouttes, lourdes et espacées, qui s'écrasent au sol avec force et annoncent la violente giboulée. Il ne s'y est pas trompé. Il s'est mis à courir. Cherchant probablement un endroit où se terrer, cherchant au milieu de cette averse de feu une tanière ou un pauvre refuge. Je l'ai suivi. Je n'oublierai jamais cette course hallucinée. Je suis Vulcain et chacun de mes talons qui heurte le sol fait éclater la terre et gicler des milliers d'étincelles. Je suis Vulcain, haletant, et je cours au milieu des détonations et du souffle chaud du métal. Je cours dans le déluge crépitant. Je suis un lapin fou dans l'incendie et je pourrais rire à gorge déployée si je n'étais pas si avare de mon souffle. Mais l'homme-cochon ne doit pas m'échapper. Des milliers de petites scories incandescentes me fouettent les flancs et le visage, des milliers de petits gravats viennent cogner contre ma face. Mais cela ne saurait m'arrêter. Je suis Vulcain et je suis en chasse. Nous courons comme des dératés. Je ne le laisserai pas m'échapper cette fois. Les explosions font rage et couvrent le bruit de mes poumons éreintés. Je ne céderai pas. Jusqu'au bout. Au-delà de la fatigue. Je n'écoute pas mon corps. Je courrai jusqu'à mourir. De la terre me gicle au visage. Mais rien n'arrête ma course. Rien. Le sol tremble sous mes pieds. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais pas ce qui va se passer lorsque je l'aurai rattrapé. Je cours. Même mort, je continuerai à courir. À chaque enjambée, il me semble que la terre se fend sous mon pied. Tout n'est que fournaise et tonnerre. Je cours. Je me rapproche. Il sait que je le talonne. Il m'a vu. Il sait que je suis à sa poursuite. Au milieu du souffle des obus, au milieu des rafales de terre et des pluies de métal, je me concentre sur ma proie. Je veux courir jusqu'au bout. Je me rapproche sans cesse. Il devient moins rapide. Soudain un éclair claque dans mes tympans. Je vois l'homme-cochon disparaître dans un nuage de feu. En une fraction de seconde, je suis soufflé. Soulevé de terre. Le corps tout entier projeté dans les airs puis plaqué contre terre et martelé de gravats. Mort, j'ai pensé. Me voilà mort. Soufflé par un obus. Démembré dans les airs. J'ai fermé les yeux et je n'ai plus pensé à rien.