Trans était devenu un pays magique, un territoire entièrement investi par notre imagination, peuplé par nos rêves à nous, la bande d'enfants qui marchaient sur les routes. Les noms des villages, des fermes, étaient autant d'énigmes, de messages cryptés : la Croix Ban, Cruande, le Rocher Toc, les Potences, le Pas Cru, Ville Pican, la Croix de Bois, les Places, la Villaze, Lande Chauve...On s'enivrait de mystère, on s'inventait des millions d'histoires, tête au vent, les mains dans les poches, libres comme dans un rêve. A l'horizon, sur la route de Pleine-Fougères, il y avait le Mont-Saint-Michel. Quand il faisait très beau, on le distinguait à peine dans la brume de chaleur. Par mauvais temps, vent, pluie ou froid, on le voyait surgir au- dessus de la baie, si distinctement, si précisément qu'on aurait pu le toucher de la main. Le Mont-Saint-Michel était à lui seul un royaume, un réservoir inépuisable à songes, légendes, inventions de toutes sortes. Il y avait, dans un de nos illustrés, une histoire à suivre qui s'appelait La Fée des grèves et qui se passait précisément là, au Mont-Saint-Michel, sous nos yeux. Ca se mélangeait dans nos têtes, le Mont-Saint-Michel qu'on voyait, qui tremblait dans la brume, sur la route de Pleine-Fougères, et ce lieu mythique d'une histoire inventée qui nous faisait battre le cœur. On habitait le centre du monde. |