Il ignore qui est l'auteur de la sonate mais c'est un très long morceau. La partition est aussi épaisse qu'un annuaire téléphonique. Les portées sont remplies de notes, elles sont littéralement couvertes de noir. C'est une composition difficile, complexe, qui exige une technique de jeu de haut niveau. Qui plus est, c'est la première fois qu'il la voit. Pourtant, à peine a- t- il jeté un œil dessus qu'il comprend que c'est l'essence du monde qui se manifeste là, et qu'il est capable de la traduire en sons. Comme il déchiffrerait toutes les dimensions d'un plan compliqué. Il possède ce talent particulier. Et ses dix doigts, bien exercés, parcourent joyeusement l'étendue du clavier à la manière d'une bourrasque de vent. C'est une expérience merveilleuse, à donner le vertige. Il décrypte plus précisément et plus rapidement que quiconque l'océan des signes enchevêtrés, et aussitôt il est capable de leur donner forme. Alors qu'il est totalement absorbé dans son interprétation, son corps est traversé par l'inspiration, tel un éclair par un après- midi d'été. Cette musique possède une structure hautement virtuose et en même temps une intériorité pleine de beauté. Elle offre une représentation expressive, sensible, totalement authentique des différentes facettes de la vie d'un homme, qu'elle est la seule à pouvoir illustrer. |