Le roman de l'aliénation d'un jeune couple : "Dans le monde qui était le leur, il était presque de règle de désirer toujours plus qu'on ne pouvait acquérir. Ce n'était pas eux qui l'avaient décrété ; c'était une loi de la civilisation, une donnée de fait dont la publicité en général, les magazines, l'art des étalages, le spectacle de la rue, et même, sous un certain aspect, l'ensemble des productions communément appelées culturelles, étaient les expressions les plus conformes".
Peut-être étaient-ils trop marqués par leur passé (et pas seulement eux, d'ailleurs, mais leurs amis, leurs collègues, les gens de leur âge, le monde dans lequel ils trempaient). Peut-être étaient-ils d'emblée trop voraces : ils voulaient aller trop vite. Il aurait fallu que le monde, les choses, de tout temps leur appartiennent, et ils y auraient multiplié les signes de leur possession. Mais ils étaient condamnés à la conquête : ils pouvaient devenir de plus en plus riches; ils ne pouvaient faire qu'ils l'aient toujours été. Ils auraient aimé vivre dans le confort, la beauté. Mais ils s'exclamaient, ils admiraient, c'était la preuve la plus sûre qu'il n'y étaient pas. La tradition - au sens le plus méprisable du terme, peut-être - leur manquait, l'évidence, la jouissance vraie, implicite et immanente, celle qui s'accompagne d'un bonheur du corps, alors que leur plaisir était cérébral. Trop souvent, ils n'aimaient, dans ce qu'ils appelaient le luxe, que l'argent qu'il y avait derrière. Ils succombaient aux signe de la richesse; ils aimaient la richesse avant d'aimer la vie.