Qui de vous peut en même temps rire et être élevé ? Celui qui plane sur les plus hautes montagnes se rit de toutes les tragédies de la scène et de la vie. Courageux, insoucieux, moqueur, violent, ainsi nous veut la sagesse : elle est femme et ne peut aimer qu’un guerrier. Vous me dites : « La vie est dure à porter. » Mais pourquoi auriez-vous le matin votre fierté et le soir votre soumission ? La vie est dure à porter : mais n’ayez donc pas l’air si tendre ! Nous sommes tous des ânes et des ânesses chargés de fardeaux. Qu’avons-nous de commun avec le bouton de rose qui tremble puisqu’une goutte de rosée l’oppresse. Il est vrai que nous aimons la vie, mais ce n’est pas parce que nous sommes habitués à la vie, mais à l’amour. Il y a toujours un peu de folie dans l’amour. Mais il y a toujours un peu de raison dans la folie. Et pour moi aussi, pour moi qui suis porté vers la vie, les papillons et les bulles de savon, et tout ce qui leur ressemble parmi les hommes, me semble le mieux connaître le bonheur. C’est lorsqu’il voit voltiger ces petites âmes légères et folles, charmantes et mouvantes — que Zarathoustra est tenté de pleurer et de chanter. Je ne pourrais croire qu’à un Dieu qui saurait danser. Et lorsque je vis mon démon, je le trouvai sérieux, grave, profond et solennel : c’était l’esprit de lourdeur, c’est par lui que tombent toutes choses. Ce n’est pas par la colère, mais par le rire que l’on tue. En avant, tuons l’esprit de lourdeur ! |
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La nature a doté l'homme d'une intelligence fabricatrice. Au lieu de lui fournir des instruments, comme elle l'a fait pour bon nombre d'espèces animales, elle a préféré qu'il les construisît lui-même. Or l'homme a nécessairement la propriété de ses instruments, au moins pendant qu'il s'en sert. Mais puisqu'ils sont détachés de lui, ils peuvent lui être pris ; les prendre tout faits est plus facile que de les faire. Surtout, ils doivent agir sur un madère, servir d'armes de chasse ou de pêche, par exemple ; le groupe dont il est le membre aura jeté son dévolu sur une forêt, un lac, une rivière ; et cette place, à son tour, un autre groupe pourra juger plus commode de s'y installer que de chercher ailleurs. Dès lors, il faudra se battre. [...] Mais peu importent la chose que l'on prend et le motif qu'on se donne : l'origine de la guerre est la propriété, individuelle ou collective, et comme l'humanité est prédestinée à la propriété par sa structure, la guerre est naturelle. [...]
L'instinct guerrier est si fort qu'il est le premier à apparaître quand on gratte la civilisation pour retrouver la nature. On sait combien les petits garçons aiment à se battre. Ils recevront des coups. Mais ils auront eu la satisfaction d'en donner. On a dit avec raison que les jeux de l'enfant étaient les exercices préparatoires auxquels la nature le convie en vue de la besogne qui incombe à l'homme fait. Mais on peut aller plus loin, et voir des exercices préparatoires ou des jeux dans la plupart des guerres enregistrées par l'histoire, Quand on considère la futilité des motifs qui provoquèrent bon nombre d'entre elles, on pense aux duellistes de Marion Delorme qui s'entre-tuaient "pour rien, pour le plaisir, ou bien encore à l'Irlandais cité par Lord Brise, qui ne pouvait voir deux hommes échanger des coups de poing dans la rue sans poser la question : "Ceci est-il une affaire privée, ou peut-on se mettre de la partie ?" En revanche, si l'on place à côté des querelles accidentelles les guerres décisives, qui aboutirent à l'anéantissement d'un peuple, on comprend que celles-ci furent la raison d'être de celles-là : il fallait un instinct de guerre, et parce qu'il existait en vue de guerres féroces qu'on pourrait appeler naturelles, une foule de guerres accidentelles ont eu lieu, simplement pour empêcher l'arme de se rouiller. - Qu'on songe maintenant à l'exaltation des peuples au commencement d'une guerre ! Il y a là sans doute une réaction défensive contre la peur, une stimulation automatique des courages. Mais il y a aussi le sentiment qu'on était fait pour une vie de risque et d'aventure, comme si la paix n'était qu'une halte entre deux guerres. L'exaltation tombe bientôt, car la souffrance est grande. Mais si on laisse de côté la dernière guerre, dont l'horreur a dépassé tout ce qu'on croyait possible, il est curieux de voir comme les souffrances de la guerre s'oublient vite pendant la paix.
C'est que la société voit dans le malheureux son ennemi - et elle n'a pas tort. Car ce malheureux, l'individu désavantagé par sa faute ou sans sa faute, et sur lequel pèse un jugement d'exclusion équitable ou non, sera rendu responsable par la collectivité de n'avoir pas obtenu de meilleure place en son sein. Lui la détestera, et elle le détestera en retour, le rejetant plus bas encore. De même que l'heureux possédant reçoit par surcroît, mis à part les bénéfices directs de sa situation, une prime de bonheur due au fait que la société le respecte, le porte au pinacle et lui concède partout la priorité, de même le malheureux sera-t-il encore puni pour son malheur, parce que la société le traite comme son ennemi-né. On peut observer chaque jour que le nanti chasse le mendiant avec colère - comme si c'était moralement un tort que d'être pauvre, comme si cela justifiait l'indignation vertueuse. La mauvaise conscience que le riche éprouve en face du pauvre se cache, ici comme tellement souvent, derrière le masque d'une légitimité morale, de façon continue, avec des pseudo-raisons si péremptoires que la victime elle-même finit par y croire.
A ne pas nommer l'origine de l'origine, il y aura un autre avantage : on ne la trahira pas. On n'en aura pas d'idée. Le lecteur, lui aussi constructeur, travaillera sur un matériau d'origine d'autant plus pur qu'il n'aura pas de marque et d'autant plus neutre évidemment qu'il n'aura pas d'étiquette.
Qui d'ailleurs serait en mesure d'assigner un nom à ce qui est innommable ? Qui, de vouloir nommer l'indétermination des origines qui est en même temps la source des sources, n'éprouverait comme la brûlure d'une flamme ? C'est que la source du rien de lumière, quel que soit ce rien, n'est jamais, par personne, nulle part, proclamée à la face du soleil sur les pages flambantes. Bien plutôt lui conviendrait la nuit, à ce nom, pour être proféré, murmuré, transmis secrètement comme une initiation, ou peut-être comme une invocation. Mais trop de dangers ici, veillent, venus parfois de la forêt, venus parfois de la haute mer. Aussi bien vaut-il mieux conserver à la nuit sa nuit et à la source d'un rien de lumière, sa présence inéluctable hors de tout nom.
Voici ce qui nous arrive dans la musique : on doit commencer par apprendre à entendre une séquence et une mélodie, la dégager par l'ouïe, la distinguer, l'isoler et la délimiter en tant que vie à part ; il faut alors effort et bonne volonté pour la supporter,malgré son étrangeté, il faut faire preuve de patience envers son aspect et son expression, de charité envers ce qu'elle a d'étrange : vient enfin un moment où nous sommes habitués à elle, où nous l'attendons, où nous pressentons qu'elle nous manquerait si elle n'était pas là ; et désormais, elle ne cesse d'exercer sur nous sa contrainte et son enchantement et ne s'arrête pas avant que nous soyons devenus ses amants humbles et ravis qui n'attendent plus rien de meilleur du monde qu'elle et encore elle. —Mais ceci ne nous arrive pas seulement avec la musique : c'est exactement de cette manière que nous avons appris à aimer toutes les choses que nous aimons à présent. Nous finissons toujours par être récompensés pour notre bonne volonté, notre patience, équité, mansuétude envers l'étrangeté en ceci que l'étrangeté retire lentement son voile et se présente sous la forme d'une nouvelle et indicible beauté : — c'est son remerciement pour notre hospitalité. Qui s'aime soi-même l'aura appris aussi en suivant cette voie : il n'y a pas d'autre voie. L'amour aussi doit s'apprendre.
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