Dans le dialogue sous-tendu par la sympathie, semé d'inattendus et d'inespérés, celui qui parle ne sait pas non plus ce que lui-même va dire lorsque l'autre se sera exprimé. On avance ainsi pas à pas vers l'inconnu de l'esprit, vers la résonance des âmes, vers un in-fini ouvert. C'est là un miracle de plus : entre les êtres marqués par la finitude jaillit une joie propre à l'infini. Et nous sentons confusément que la vérité de vie que j'évoquais à l'instant doit se cacher dans ce va-et-vient infini. Infini ? Déjà susurre à nos oreilles la voix du Ricaneur : "Mais voyons, tout a une fin !" Nous-mêmes, nous n'avons pas besoin d'être convaincus que dans peu de temps nous ne serons plus ensemble pour prolonger cette expérience de l'infini. Il nous reste donc à nous joindre au chœur des lamentations : "Vanité des vanités, tout est vanité" (L'Ecclésiaste), "Passons, passons, puisque tout passe" (Apollinaire)...A moins qu'un sursaut de dignité ne nous saisisse. Un sursaut qui proclame haut et fort nos présences ici et maintenant. Car, aussi indéniable qu'irrévocable, le fait est là : rien ne peut plus faire que nous ne soyons là. Certes, nous ne pouvons rien retenir. Une seule chose cependant en notre possession, une chose qui n'est pas rien : l'instant. L'instant de vraie vie comme en ce moment. Cela, nous en sommes aussi certains que nous le sommes de notre mort un jour. A côté de la certitude d'être les maîtres de l'instant. |
L'instant n'est pas synonyme du présent : le présent n'est qu'un chaînon ordinaire dans l'ordre chronologique; l'instant, lui, constitue un moment saillant dans le déroulement de notre existence, une haute vague au-dessus des remous du temps. De manière fulgurante, au sein de notre conscience, l'instant cristallise nos vécus du passé et nos rêves du futur en une île surgie de la mer anonyme, une île soudain éclairée par un intense faisceau de lumière. L'instant est une instance de l'être où notre incessante quête rencontre soudainement un écho, où tout semble se donner d'un coup, une fois pour toutes. C'est une telle expérience privilégiée que traduit l'expression paradoxale "instant d'éternité". Ainsi parlait Friedrich Nietzsche, que cite le poète Jean Mambrino dans l'Hespérie, pays du soir : "Admettons que nous disions "oui" à un seul et unique moment, nous aurions ainsi dit "oui" non seulement à nous-mêmes, mais à tout ce qui existe. Car rien n'est isolé, ni en nous ni dans les choses, et si même une seule fois la joie a fait retentir notre âme, toutes les éternités étaient nécessaires pour créer les conditions de ce seul moment, et toute l'éternité a été approuvée, justifiée dans cet instant unique où nous avons dit "oui". Nous sentons, confusément mais profondément convaincus, que l'instant tel que nous venons de l'évoquer s'apparente, par sa saveur de plénitude, à ce que doit être l'éternité.
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