Cette image du philosophe est aussi bien la plus vieille, la plus ancienne. C'est celle du penseur présocratique, « physiologiste » et artiste, interprète et évaluateur du monde. Comment comprendre cette intimité de l'avenir et de l'originel ? Le philosophe de l'avenir est en même temps l'explorateur des vieux mondes, cimes et cavernes, et ne crée qu'à force de se souvenir de quelque chose qui fut essentiellement oublié. Ce quelque chose, selon Nietzsche, c'est l'unité de la pensée et de la vie. Unité complexe : un pas pour la vie, un pas pour la pensée. Les modes de vie inspirent des façons de penser, les modes de pensée créent des façons de vivre. La vie active la pensée, et la pensée à son tour affirme la vie. Cette unité présocratique, nous n'en avons même plus l'idée. Nous n'avons plus que des exemples où la pensée bride et mutile la vie, l'assagit, et où la vie prend sa revanche, affolant la pensée et se perdant avec elle. Nous n'avons plus le choix qu'entre des vies médiocres et des penseurs fous. Des vies trop sages pour un penseur, des pensées trop folles pour un vivant...