Notre psychologie est une science à laquelle on peut tout au plus reprocher d'avoir inventé la dynamite avec laquelle travaille lui aussi le terroriste. Ce que le moraliste, le praticien en fera ne nous regarde pas et nous ne nous en mêlons pas. Bon nombre de profanes se hâteront de les utiliser aux fins les plus folles qui soient : cela non plus ne nous regarde pas. Notre seul et unique but est la connaissance scientifique qui n'a point à se préoccuper du brouhaha qui s'élève autour d'elle. Si religion et morale en doivent exploser, il serait dommage pour elles qu'elles ne possèdent pas plus de solidité. La connaissance est, elle aussi, une force de la nature qui va son chemin avec une nécessité intérieure que rien n'arrête. Là non plus, il ne saurait y avoir de palliatif ni de négociation : il ne peut y avoir qu'acceptation sans condition.
Jusqu'à ces derniers temps, la psychologie formait une des parties de la philosophie; mais, comme Nietzsche l'avait prévu, il se dessine encore un essor de la psychologie qui menace d'engloutir la philosophie. La ressemblance intérieure de ces deux disciplines tient à ce qu'elles consistent toutes deux en une formation systématique d'opinions sur des thèmes qui échappent à une emprise totale de l'expérience et, par la suite, à la trame de la raison empirique. Elles excitent par là même la raison spéculative qui se met à élaborer des conceptions; cette élaboration prend des proportions et des aspects d'une diversité telle que, tant en philosophie qu'en psychologie, il faut de nombreux volumes pour résumer la multiplicité des opinions. Aucune de ces deux disciplines ne saurait subsister sans l'autre qui lui fournit, en un mutuel, tacite et en général inconscient échange, le principe même dont elle procède.
Supposer qu'il n'existe qu'une seule psychologie, ou un seul principe psychologique fondamental, c'est accepter l'insupportable tyrannie du préjugé scientifique de l'homme normal. On parle toujours de l'homme et de sa "psychologie", que l'on ramène toujours à un "ce n'est pas autre chose que..." De même on parle toujours de la réalité, comme s'il n'y en avait qu'une. Or la réalité, c'est ce qui agit dans une âme humaine, et non ce que certains estiment efficace et généralisent hâtivement. Même quand on procède aussi scientifiquement que possible, on ne doit pas oublier que la science n'est pas la "somme" de la vie; elle n'est qu'une attitude psychologique parmi d'autres, une forme de la pensée humaine.